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tient, tout s’enchaîne dans l’histoire des lois, des coutumes et de la civilisation d’un peuple ; le fond de son existence se compose d’un ensemble de traditions qu’un progrès quelquefois contrarié ou précipité par les révolutions, mais toujours logique, modifie sans cesse, et qui durent et subsistent en se transformant. L’institution des états-généraux, en 1302, a renouvelé et complété, sous une forme appropriée aux changemens survenus, d’autres institutions beaucoup plus anciennes : elle est une suite, et non un point de départ, elle est un effet et non une cause première. Il y avait eu des assemblées politiques, tantôt partielles, tantôt générales, à l’époque carlovingienne et dans les temps féodaux ; la Gaule romaine avait possédé pendant quatre siècles une savante organisation de libertés municipales et provinciales où l’intervention de la parole publique était aussi fréquente qu’efficace : ce régime longtemps solide et prospère, les invasions l’avaient bouleversé sans le détruire ; on aperçoit, dans le clair-obscur des périodes les plus troublées, d’imposans débris encore debout, des germes vivans sous les ruines, des usages persistans, des traditions ineffaçables. Tout cela renaît et refleurit vers le XIIIe et le XIVe siècle dans les institutions du moyen âge français ; les apparentes innovations de la royauté capétienne ont leurs racines dans un passé profond et résument l’effort constant, le travail accumulé de nombreuses générations.

Il y a plus. En civilisant la Gaule, les Romains avaient respecté tout ce qui ne contrariait pas les vues générales de leur politique et l’intérêt supérieur de l’empire : les états vaincus gardèrent leur ancien nom, leur territoire, leurs magistratures, la plupart de leurs franchises locales ; le génie gaulois, assoupli et fortifié, sembla prendre sa croissance régulière et suivre son essor naturel sous une discipline amie, sous une tutelle bienfaisante qui réglait sa destinée beaucoup plus qu’elle n’entravait son ardeur. Aussi peut-on dire que les élémens essentiels de la constitution primitive du peuple gaulois ont passé dans l’organisation perfectionnée qu’il a reçue du génie romain ; de là pour nous une évidente nécessité de remonter bien haut dans le passé et d’en fouiller l’obscurité féconde, si nous voulons établir avec certitude, marquer avec précision l’origine, le progrès, la nature complexe, les transformations successives de nos institutions de liberté et de nos traditions d’éloquence politique. Deux choses, selon nous, méritent une attention particulière et doivent ressortir nettement de cet examen rétrospectif : d’abord le goût et l’aptitude de la race pour l’éloquence, sa vocation oratoire, telle que l’attestent les monumens historiques ; en second lieu, son invariable désir, sa volonté souvent manifestée d’intervenir dans le gouvernement de ses propres affaires et d’y introduire, avec l’action