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aisément retrouver, dans ce lointain des siècles, des précurseurs et des ancêtres qui ne sont pas toujours indignes d’eux pour la vigueur de la pensée, sinon pour le talent de l’expression : la forme est rude, sans doute, et quelque peu embarrassée chez les premiers défenseurs de l’opinion publique ; ils semblent fléchir sous le poids de la parole, leur conviction militante est emprisonnée dans les mots comme un guerrier dans une lourde armure ; mais sous ces dehors ingrats, sous cette grossière écorce, on sent un esprit juste, une âme sincère et forte. Voilà un aspect du passé, assez obscur encore, sur lequel nous essaierons de jeter un peu de lumière ; nous voudrions donner quelque relief à cette face du génie français, imparfaitement étudiée et qui a comme disparu sous l’éclat éblouissant de notre littérature classique. Nous recueillerons avec soin ce qui reste de ces anciens discours dont la plupart ont péri par l’indifférence même de ceux qui les ont prononcés ; nous demanderons aux chroniques, aux poèmes, aux journaux, aux procès-verbaux des assemblées, aux registres des parlemens, le souvenir des luttes soutenues par les orateurs libéraux d’un régime si avare de liberté, le témoignage de l’influence qu’ils ont exercée, du bien qu’ils ont fait, du mal qu’ils ont arrêté ou prévenu, de la gloire fugitive qui un instant a brillé sur leur nom. Si peu que nous soyons touchés du patriotique désir qui excitait Cicéron dans le Brutus à remuer la poussière des antiquités romaines pour y chercher des fragmens de harangues primitives et des vestiges de réputations oratoires, les indices significatifs se multiplieront sous nos regards ; nous verrons se ranimer, se développer cette existence pour ainsi dire préhistorique d’une éloquence politique française conforme au sérieux esprit et aux trop sévères institutions de la France d’autrefois.

La matière qu’un tel sujet, ainsi caractérisé et limité, comporte nous présente tout d’abord deux divisions capitales. De 1302 à 1614, les états-généraux occupent la scène politique ; ils ont seuls le droit de parler au nom de la nation ; de 1615 à 1789, les parlemens, et surtout le parlement de Paris, reprennent et défendent le mandat que les états-généraux ont cessé de remplir. De là, deux époques et deux parties bien distinctes dans le développement que nous venons d’annoncer ; de là, deux sortes d’éloquence politique, dont chacune a son génie, son langage, ses moyens d’action, son originalité. Ces deux époques considérables, ces deux larges espaces, pleins de la richesse visible de notre sujet, sont eux-mêmes précédés d’une période confuse, indéterminée, qui semble vide, mais que l’historien doit bien se garder de négliger, s’il a l’ambition de pénétrer au-delà des surfaces et des apparences, s’il veut atteindre aux principes cachés, à la naissance lointaine des choses. Tout se