Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me dit que vous touchez à une heure décisive de votre vie. Les circonstances singulières qui nous ont réunis ici ne sont pas le résultat d’un hasard. Une volonté supérieure à la nôtre rapproche parfois dans un dessein que nous ignorons ceux que séparaient des nationalités diverses et le cours de la vie. J’ignore ce que l’avenir tient en réserve, mais je sens qu’en ce moment un lien, bien frêle il est vrai, existe entre nous. D’un mot vous pouvez le briser. Croyez-moi, ne le faites pas. J’étais, je suis encore peut-être un inconnu pour vous, et pourtant, je vous le dis, non, je ne me trompe pas, ayez foi en moi.

Pâle et les yeux baissés, elle écoutait. Une lutte intérieure l’agitait ; sa main tremblait dans celle de Fernand. — Merci... peut-être avez-vous raison... et cependant... Quel lourd fardeau que la vie, ajouta-t-elle avec un accent de profond découragement. Me tiendriez-vous ce langage si vous saviez... Pourquoi faire luire à mes yeux un espoir trompeur ? A quoi bon me parler de l’avenir ? Un secret me hante et m’accable. J’ai tout tenté pour le pénétrer... Ce papier échappé à tant de hasards, seul indice qui me reste, ce papier... est resté muet. Ici, dans ces ruines... à quelques pas de nous peut-être est enfouie la preuve... Je l’ai cru. Pendant un an j’ai espéré. Aujourd’hui... j’ai peur. Ah ! vous ne savez pas de quel poids le malheur et la honte pèsent sur la tête d’une femme, combien tout en elle se révolte à la pensée qu’un mot peut...

— Ne prononcez pas maintenant ce mot que vous redoutez, interrompit Fernand. Je saurai l’attendre ; je veux le devoir à votre confiance et non à un moment d’émotion que vous regretteriez peut-être... Dona Mercedes, reprit-il après un instant de silence, quel que soit ce secret, quelle que soit la fatalité qui pèse sur votre vie, laissez-moi ajouter ceci : je crois en vous, j’y crois malgré tout, malgré vous-même et vos paroles désespérées, et... si vous pouviez lire dans mon cœur...

Mercedes leva les yeux sur lui. Fernand y vit une expression de surprise si douloureuse, une tristesse si navrante qu’il n’osa achever. Elle retira sa main, une larme glissa sur ses joues, et lentement, sans ajouter un mot, elle s’éloigna.


C. DE VARIGNY.