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l’examen de la pièce où il se trouvait. Sa curiosité, fortement éveillée, le rendait distrait, Carillo parlait peu, Fernand seul semblait avoir oublié où il était et se préoccupait beaucoup plus de sa compagne que des ruines et de ceux qui les avaient élevées. La voix grave et douce de dona Mercedes charmait son oreille, et il observait avec intérêt cette étrange jeune fille qui avait choisi pour y vivre ce palais désert et qui, loin du monde, cachait dans une solitude absolue sa merveilleuse et mélancolique beauté.

— Dona Mercedes, dit le curé, avez-vous vu récemment votre Indienne ?

— Non. Itza n’est pas venue ici depuis plus de trois semaines. Est-elle allée à Mérida ?

— Je ne crois pas, on l’y voit rarement et elle n’y reste jamais longtemps. Les Indiens la craignent, et elle évite les étrangers.

— Itza, interrompit dona Carmen, est une vraie fille des forêts, mon cher curé, et vous ne réussirez pas à la convertir, encore moins à la civiliser.

— Qui est Itza ? demanda George Willis.

— Dona Carmen la connaît mieux que personne, répondit le curé. La jeune fille leur dit alors qu’Itza était Indienne, de race maya, mais très différente de ses compatriotes comme type physique et comme caractère. Farouche, indépendante, elle passait sa vie à errer dans la forêt au milieu des ruines. Itza pouvait avoir vingt-cinq ans ; elle était grande, élancée ; ses pieds et ses mains, d’une petitesse exquise, rappelaient ceux que les sculptures d’Uxmal donnent à leurs personnages. Les Indiens disaient tout bas qu’Itza descendait en ligne directe des anciens chefs du pays ; elle n’était pas chrétienne, et ils la soupçonnaient d’adorer en secret les dieux de ses ancêtres. Sans autre compagnon qu’un grand chien roux qui ne la quittait jamais, elle parcourait ces solitudes impénétrables, se nourrissant de fruits et de racines. Elle possédait aux environs de Mérida une milpa, vaste clairière propre à la culture du maïs et à l’élevage des animaux. Elle la louait, et le modeste revenu qu’elle en tirait suffisait à son entretien. Itza ne s’était pas mariée, bien qu’elle fût belle ; elle méprisait les Indiens, esclaves pendant de longues années et toujours en état de sujétion ; elle haïssait les Mexicains, en qui elle voyait des usurpateurs et des ennemis. Cette haine toutefois ne s’étendait pas aux deux sœurs. Un jour, surprise par l’orage, Itza avait cherché un refuge au palais. On lui avait fait accueil et elle en gardait bon souvenir. Depuis elle était revenue. Carmen l’avait prise en affection et cherchait à la retenir, mais sans succès. Itza l’aimait, mais elle aimait mieux encore sa vie errante, ses longues rêveries dans les ruines.

Mercedes se levait ; le repas fini, on revint sur .la terrasse. Le