Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rien de plus innocent se peut-il faire voir?
Il arrive des champs et désire savoir
Si durant son absence elle s’est bien portée,
Hors les puces, qui m’ont la nuit inquiétée.
Répond Agnès — voyez quelle adresse a l’auteur,
Comme il sait finement réveiller l’auditeur!
De peur que le sommeil ne s’en rendît le maître,
Jamais plus à propos vit-on puces paraître?
D’aucun trait plus galant se peut-on souvenir?
Et ne dormait-on pas, s’il n’en eût fait venir?


Si Boursault ne se fût permis que cette raillerie insipide, on se demanderait ce qu’il a ajouté de son propre fonds aux objections déjà faites. Toutes les autres courent les salons et les ruelles. Molière les connaît si bien qu’il les fait débiter dans la Critique de l’École des femmes par le marquis, Lysidas, Climène, et qu’il y répond par la bouche d’Uranie et de Dorante.

D’où vient donc que ces vaines attaques ont si fort irrité Molière? C’était le cas de se rappeler le mot de Virgile : telum imbelle sine ictu. Au contraire, pourquoi se laisse-t-il emporter par son ressentiment jusqu’à nommer Boursault sur la scène, jusqu’à le berner en plein théâtre? Pourquoi cette indignation à la fois si douloureuse et si véhémente? Pourquoi, livrant à l’ennemi ses ouvrages, sa figure, ses gestes, ses paroles, son ton de voix et sa façon de réciter, ajoute-t-il avec amertume: « Je ne m’oppose point à toutes ces choses, et je serai ravi que cela puisse réjouir le monde; mais en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le reste et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m’a dit qu’ils m’attaquaient dans leurs comédies. C’est de quoi je prierai civilement cet honnête monsieur qui se mêle d’écrire pour eux, et voilà toute la réponse qu’ils auront de moi. » Ce passage a fort embarrassé les commentateurs, car il est bien évident d’une part qu’il s’agit des douleurs intimes de Molière, des douleurs et des hontes de son ménage, et d’autre part il est certain que Boursault n’y fait pas la plus légère allusion dans le Portrait du peintre. Pour expliquer l’énigme, on s’est demandé si Boursault en faisant imprimer sa pièce n’en avait pas retranché les passages outrageans. On n’aurait pas eu besoin de proposer une conjecture aussi peu conforme au caractère de Boursault, si on avait remarqué à qui s’adressent ces paroles. Elles s’adressaient aux rivaux acharnés, aux ennemis intraitables, c’est-à-dire aux comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, et Boursault, qui se mêlait d’écrire pour eux, était civilement prié de ne pas toucher à certaines choses. Il n’y avait donc là aucun reproche au sujet du Portrait du peintre, il n’y avait qu’un avertissement pour l’avenir.