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faux, un vil espion. Si Prexille croit gagner la faveur d’Ésope en venant lui dire : Un tel a médit de vous, celui-ci vous a raillé, cet autre vous calomnie… Ésope l’arrête et en quelques mots le confond. C’est ce que recommande l’archevêque de Cambrai : « Il faut chasser et confondre ces pestes de cour. »

Avec le lâche Prexille commence la série des personnages ridicules ou vicieux que le sage Ésope a mission de rappeler au devoir. Voici Rhodope, la fille coquette, qui aime à mener grand train, à occuper toute la cour de sa beauté, de son esprit, de sa désinvolture, et qui se moque du qu’en dira-t-on. Elle est honnête au fond, mais quelle légèreté ! Ésope la trouve charmante, et ce sont des conseils presque paternels qu’il lui donne. — Soyez sur vos gardes, Rhodope, ne jouez pas avec le feu, ne badinez pas avec l’honneur. Il y a une fleur de renommée comme il y a une fleur de vertu. Ne laissez pas au soupçon le droit de s’attacher à vous. — Mais Rhodope, la folle, l’insouciante, se rit de ces conseils ; avec quelle grâce ! avec une grâce qui fascine le sage Ésope lui-même. Tout cela est très finement observé.

Je hais l’honneur féroce et la vertu chagrine.
Je vous l’ai déjà dit : je ris, chante, badine,
Et, croyant ma conduite exempte de remords,
Je ne prends aucun soin de sauver les dehors.
Il est vrai qu’on en parle, et que de vieilles dames
Dont le cœur est encor susceptible de flammes,
Faciles à remplir les désirs d’un amant
Ne peuvent présumer qu’on rie innocemment ;
Et jamais à l’amour n’ayant été rebelles,
Elles jugent de moi comme elles jugent d’elles.
Rien n’est plus dangereux dans leurs petits complots
Que ces femmes de bien qui le sont à huis clos,
Qui des moindres plaisirs condamnent l’innocence,
Et trouvent tout permis en sauvant l’apparence
Pour moi, qui marche droit, je ne me contrains pas.


Oui, tout cela est observé avec finesse. Rhodope, malgré ses allures suspectes, est une franche nature. Sa légèreté est le résultat de sa vie mondaine. Elle a été élevée à la cour, loin de sa mère, loin d’une direction que rien ne remplace. Qu’un grand devoir s’impose à elle, sa guérison est assurée.

Ce devoir, le voici : la mère de Rhodope, une pauvre femme simple, naïve, qui a perdu sa fille depuis des années, la retrouve enfin dans ce monde du luxe, et la fille vaniteuse a méconnu sa mère. Quelques mots d’Ésope ont suffi pour toucher ce cœur plus léger que mauvais. Rhodope a horreur de sa faute, elle est impatiente de la réparer, la voici transformée tout à coup ; le sentiment de la nature l’a délivrée en un instant de tout ce qu’à y a d’artificiel