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Pour ne boire jamais que du vin qu’on frelate,
Pour être jour et nuit comme un chat sur ma patte,
Pour avoir des amis qui sont de vrais judas !
Nenni, mordié ! nenni, je ne m’y frotte pas.
C’est avoir de l’esprit de donner une somme
Pour manger à son aise et dormir d’un bon somme ;
Mais dépenser son bien pour acheter du mal,
Révérence parler, c’est être un animal.
Tenez, sans le plaisir que m’a fait votre fable,
J’allais être assez sot pour être connétable.

Le connétable retourne à sa charrue, tout heureux d’avoir échappé au péril, et si reconnaissant envers Ésope qu’il veut absolument lui faire boire au village du vin de son cellier. Quel sage que cet Ésope ! et ce rat des champs, quel habile homme ! il n’oubliera jamais ce qu’il leur doit :

Vous êtes, vous et lui, tant plus j’ouvre les yeux,
De tous les animaux ceux que j’aime le mieux.
Plaquez là votre main. Si vous me voulez suivre,
Je m’offre de bon cœur de vous renvoyer ivre.
J’ai du vin frais percé qu’on ne frelate point.

Après ce rustre naïf, toujours prêt, comme il dit, à hausser le coude, voici un type d’une tout autre espèce, le courtisan, l’homme à tout faire, chartiste sans scrupules, faussaire sur commande en écriture publique aussi bien qu’en écriture privée. M. Doucet, comme Boursault l’appelle, vient proposer au ministre du roi de lui fabriquer une illustre généalogie. — À quoi bon ? répond le ministre ; quand je réussirais à tromper les autres, pourrais-je me tromper moi-même ? — C’est trop de délicatesse, réplique le faussaire. Si tout le monde pensait de la sorte,

Adieu plus des trois quarts de ce qu’on croit noblesse !

C’est un des points qui reviennent le plus souvent dans les scènes satiriques de Boursault. Ami et commensal des gentilshommes de haute race, il est impitoyable pour la gentilhommerie de faux aloi. Tout à l’heure, dans le Mercure galant, il fustigeait M. Michaut qui insistait vainement auprès d’Oronte pour faire greffer son nom sur quelque tige morte ; ici, c’est le fabricant qui étale lui-même ses procédés. Il se sert, par exemple, de vieilles vitres où il introduit une devise antique avec un écusson de contrebande. M. Doucet n’est pas seulement un faussaire éhonté, c’est un de ces flatteurs qui vivent aux dépens de leurs dupes. Il croit séduire Ésope en vantant son air noble, sa taille, petite il est vrai, mais bien faite, sa bosse