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voit le grand Corneille, pendant tout le reste de sa vie, appeler Boursault son enfant, et Thomas Corneille lui montrer jusqu’au dernier jour une amitié si reconnaissante et si fidèle?

A cette influence des vétérans glorieux se joignait celle des conscrits impatiens. Quel âge avait Quinault, lorsqu’il fit représenter sa première comédie, les Rivales? C’était en 1653, Quinault n’avait que dix-huit ans. Boursault ne put voir cette œuvre du nouveau venu sans se sentir mordu par l’aiguillon. Je ne parle ici que de l’excitation causée à un esprit avide par ce fait d’un jeune poète s’essayant sitôt sur la scène. Anch’io, se dit-il. Notez bien que Boursault n’était son cadet que de trois années ; Boursault était né en 1638, Quinault en 1635. Ce n’était pas d’ailleurs le genre de Quinault qui le tentait, il suivait plutôt l’exemple des aînés, c’était la gaîté de Scarron, la bonne humeur de Thomas Corneille, qui provoquaient sa verve. L’auteur de Don Japhet d’Arménie et l’auteur de Don Bertrand de Cigarral avaient pris certains sujets espagnols pour les habiller à la française. Les situations romanesques n’étaient que le cadre où se déployait une fantaisie moqueuse. C’est même leur principal titre, comme poètes comiques, d’avoir débarrassé la scène française des prétentions et de l’enflure espagnole. Tel est aussi, je ne dirai pas le mérite, mais l’intérêt, le seul intérêt des premières pièces de Boursault, le Mort vivant, les Cadenas, le Médecin volant, les Nicandres ou les Menteurs qui ne mentent point. Ce sont des études de style, du style comique du temps, composées par un écolier naïf à l’imitation de Scarron et de Thomas Corneille. L’invention est confuse, la langue est un peu vulgaire ; çà et là cependant l’entrain, la bonne humeur, une certaine franchise de dialogue, annoncent des qualités aimables et un esprit bien doué. Au milieu de grossièretés révoltantes (dans le Médecin volant par exemple), on rencontre certains traits qui soutiennent la comparaison avec telle situation du Médecin malgré lui. Voici Crispin affublé par son maître d’une soutane doctorale et débitant sa science, citant ses auteurs, entremêlant tous les noms à tort et à travers : Polyeucte et Virgile à côté de Jodelet, Robert Vinot à côté de Scipion l’Africain. Il prononce de grands mots dont il ignore le sens, il parle d’encyclopédie et d’apothéose, il signale l’influence du Cancer, du Zodiaque, de Saturne, qu’il a l’air de saluer comme des maîtres :

Et s’il faut qu’avec eux j’en demeure d’accord,
Rien n’abrège la vie à l’égal de la mort.
Ce sont de ces auteurs les leçons que j’emprunte à
Votre fille, à propos, serait-elle défunte?

FERNAND.


Non, monsieur.