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de Racine. Qu’il tombe ou se relève, de la Toison d’or à Sertorius, et de Sophonisbe à Othon, il est le maître incontesté. Et qui donc pourrait lui disputer le premier rang, dans quelque genre que ce soit? Au commencement de cette période dont nous parlons, Racine est encore un écolier de Port-Royal, étudiant le grec et le latin sous la direction de Lancelot, Molière court encore la province, et nul ne prévoit quelles batailles, c’est-à-dire quelles victoires l’attendent à Paris. Que fait Boileau, que fait La Fontaine à cette date? L’un n’est pas encore sorti de la poudre du greffe, l’autre n’a pas encore quitté ces bois et ces prairies de la Marne où le garde forestier nous prépare un si merveilleux poète. Ils ne s’ignorent pas, j’en suis sûr, mais le monde les ignore. Bref, Corneille est seul, occupant les hauteurs et dominant la multitude. Au-dessous de lui, bien au-dessous, est son frère Thomas, qui passe de la comédie à la tragédie, de Timocrate à Jodelet prince avec une facilité sans pareille; après quoi, les noms les plus célèbres sont deux représentans de la génération antérieure, Boisrobert et Scarron, auxquels vient se joindre le jeune Quinault. Toutes ces influences se retrouvent dans l’éducation littéraire de notre poète. Les Corneille d’abord ont dû attirer le jeune enthousiaste. Parmi les écrivains de notre siècle, j’entends parmi ceux qui ont débuté il y a une trentaine d’années, en est-il beaucoup qui n’aient commencé par adresser une profession de foi et de dévoûment à Lamartine, à Victor Hugo, à Michelet? C’est vers 1653 que Boursault adresse ses premiers hommages aux deux Corneille. Il ne distinguait pas encore entre les deux frères, et ni l’un ni l’autre n’en paraissait surpris. Cette confusion n’offusquait pas plus le juste orgueil de l’aîné qu’elle ne gênait la modestie du cadet. On sait que l’auteur du Cid et l’auteur de Don Bertrand de Cigarral se prêtaient fraternellement bien des choses :

Les deux maisons n’en faisaient qu’une.
Les clés, la bourse était commune.
Les femmes n’étaient jamais deux,
Tous les vœux étaient unanimes.,
Les enfans confondaient leurs jeux,
Les pères se prêtaient leurs rimes.
Le même vin coulait pour eux.


Boursault confirme par un trait de plus ces vers du bon Ducis. Les deux frères qui se prêtaient leurs rimes trouvaient tout naturel aussi de recevoir les mêmes témoignages de dévoûment cordial. C’est donc vers 1653 que Boursault, à peine âgé de quinze ans, se déclara le disciple et l’ami des Corneille, un disciple toujours prêt à épouser leurs querelles avec passion. Comment en douter lorsqu’on