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molle et routinière, quelques faibles restes des savantes cultures qui, sous tant de maîtres différens, avaient fait la richesse de l’île. C’est l’histoire de cette culture et de ses progrès, de ses acquisitions successives, qu’il reste à esquisser. Cette ébauche sera bien incomplète ; mais elle aura du moins un avantage : elle permettra de passer en revue, chemin faisant, les principales périodes entre lesquelles se partage la vie politique et sociale de Cypre ; elle donnera l’occasion de rétablir la série des conquêtes et des influences que l’île a subies, de rappeler, tout au moins par voie d’allusion, les principaux événemens de ses annales. Grâce à cette sorte de révision, quand on abordera l’étude des monumens de l’art cypriote, on sera mieux préparé à en recueillir le témoignage, à en comprendre la valeur et le sens.


II

Quels furent les premiers habitans de l’île de Cypre ? Nous l’ignorons et nous l’ignorerons toujours. Ce que les historiens anciens s’accordent à déclarer, c’est qu’elle reçut des Phéniciens les premiers rudimens de la civilisation : « Ce sont eux, dit Strabon, qui apportèrent à Cypre la première culture, qui défrichèrent les champs et exploitèrent les mines. » Cette assertion est confirmée de la manière la plus décisive par les monumens de tout genre qui ont été retrouvés dans les ruines et les nécropoles cypriotes. On a jusqu’ici découvert beaucoup plus d’inscriptions phéniciennes à Cypre qu’en Phénicie même ; d’autre part, depuis le plan des sanctuaires les plus riches jusqu’aux moindres statuettes et aux bijoux les plus communs, tous les débris de la plastique révèlent ici une influence phénicienne des plus prolongées et des plus efficaces. Ce fut la côte orientale et méridionale, la plus voisine de la Syrie, qui fut la première touchée par cette influence, qui en fut le plus profondément pénétrée et y resta le plus longtemps soumise. Là se bâtirent les trois villes dont l’origine phénicienne était le plus incontestée, Kition, Paphos et Amathonte. La première, dont le site est tout voisin de la ville moderne de Larnaca, aujourd’hui le principal port de l’île, paraît avoir été le plus ancien et le plus important des établissemens phéniciens, celui qui faisait avec le continent et avec l’intérieur de l’île le commerce le plus actif. Telle était la réputation de cet entrepôt que chez les Orientaux, chez les Hébreux, par exemple, son nom de Kittim s’étendait à l’île tout entière ; c’est ainsi que la désignent les prophètes juifs. Amathonte et Paphos sont célèbres surtout par leurs sanctuaires, où l’image grandiose et confuse de la déesse-nature des Syriens s’est plus tard, par degrés, resserrée et comme condensée en une forme mieux définie, celle de l’Aphrodite grecque.

Là, comme à Thasos, comme à Siphnos et à Sériphos, comme en