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a été nuisible (injurious) aux intérêts de la Grande-Bretagne ; il est sûr aussi que Catherine fit un accueil chaleureux à M. Adair, et donna ordre de placer dans la galerie de son château impérial le buste de Fox, entre ceux de Cicéron et de Démosthène[1] !

M. Adair, — sir Robert Adair comme il fut appelé depuis, — a vécu assez longtemps pour revenir entièrement des erreurs de sa jeunesse, et pour nous laisser de sa conversion une preuve écrite, qu’on ne saurait ici passer sous silence. Mêlé, après la mort de Pitt, aux grandes affaires du monde, ambassadeur d’Angleterre successivement à Vienne et à Constantinople (1806-1811), l’ancien émissaire de Fox auprès de Catherine II avait eu l’occasion d’étudier certain problème sur place, de connaître un peu mieux les hommes et les choses ; et c’est ainsi que la volumineuse collection des papiers d’état du duc de Wellington[2] nous offre, entre tant de documens précieux et confidentiels, un curieux mémoire présenté en 1828 par sir Robert Adair pour attirer l’attention de l’illustre chef des tories sur les dangereux desseins de la Russie en Orient. « La Russie, y lit-on, ne déposera jamais les armes avant d’avoir obtenu, pour ses vaisseaux de guerre, la libre entrée dans la Mer-Noire et dans l’Archipel, et une fois en possession de Constantinople, elle n’évacuera pas la capitale sans y avoir établi un gouvernement complètement dépendant d’elle. Il ne s’agit pas ici seulement des rêveries de l’âge de Pierre et de Catherine II ; ce sont là des desseins mûris sous la direction des hommes d’état les plus capables de l’Europe, et dont nous devons empêcher l’exécution, qui sera tentée infailliblement. » Ainsi s’exprimait sir Robert près de quarante ans après sa mission aventureuse auprès de la cour de Saint-Pétersbourg, ainsi parlait un vieux whig éclairé par l’expérience, au lendemain de la journée de Navarin, tandis que son parti, tandis que l’opinion libérale de l’Europe entière acclamait avec le plus sincère des enthousiasmes le soulèvement des Hellènes, et rejetait avec dédain tout avertissement dicté par les considérations d’une politique sans entrailles ! ..

C’est qu’il y avait dans cette cause grecque tant d’attraits irrésistibles pour tout esprit cultivé, tant d’émotions poignantes pour tout cœur simple et généreux ! Il semblait que l’œuvre même de la civilisation fût suspendue aux exploits de ces klephtes du Maïna et de ces corsaires de l’Archipel ; car n’est-ce point la fusion intime et mystérieuse de l’idée chrétienne, de l’individualité nationale et de la tradition classique qui a constitué toute notre civilisation moderne, et chacun de ces élémens ne se trouvait-il pas engagé dans cette résurrection de la Grèce ? Byron n’a donné que la magie de sa parole à un sentiment confus, mais général, en célébrant un pays

  1. Lord Stanbope, Life af William Pitt (Londres, 1861), II, p. 119-120.
  2. Wellington Despatches. New Séries, t. IV, p. 295.