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du ministre de l’intérieur, et le ministre d’alors, — juin 1874, — ne sut pas pardonner à M. Nathaniel Martin-Dupont d’avoir été, aux élections de 1871, un de ses concurrens républicains dans le département de la Dordogne. La nomination n’était pas encore faite quand survint un changement ministériel ; mais le nouveau ministre de l’intérieur, quoique protestant et membre du consistoire de Paris, ne tint pas plus de compte des éminens services que la famille Martin-Dupont avait rendus pendant tant d’années à l’église dont il était un des dignitaires. M. Martin-Dupont dut quitter Sainte-Foy sans avoir eu la satisfaction d’y laisser un autre lui-même.

Son zèle n’était pas affaibli. Il reprit les fonctions du ministère sacré près d’une petite église de la Provence ; mais ses forces trahirent bientôt son courage, et il dut se résigner à un repos complet. Il vécut encore deux ans dans la retraite qu’il s’était choisie, à Toulon, près d’un de ses fils, médecin de la marine. Il eut la douleur de survivre de quelques mois à la compagne dévouée de son long apostolat. Il est mort en 1877, et ses enfans ont pu ramener son corps, avec celui de leur mère, dans le cimetière de la colonie qu’il avait créée.

Peu de temps avant sa mort, il avait pu terminer le livre dans lequel il a consigné les impressions de toute sa vie. Ses fils se sont fait un pieux devoir de publier ce livre où nous avons puisé les matériaux de la présente étude, et auquel nous avons fait de nombreux emprunts. Nous connaissons peu de lectures plus attachantes. Ce n’était, dans la pensée de l’auteur, qu’un ouvrage d’édification à l’usage de ses coreligionnaires ; mais les lecteurs sérieux, dans toutes les communions et même en dehors de toute foi religieuse, peuvent y prendre un vif intérêt. Dans un temps où la réforme pénitentiaire tient le premier rang parmi les questions de législation et de morale sociale, l’histoire de la colonie de Sainte-Foy, depuis sa fondation jusqu’à nos jours, suffirait pour recommander le volume dans lequel elle est racontée avec tant de candeur et d’un accent si ému par son premier directeur. Et, dans les autres parties du livre, combien de pages exquises sur les sujets les plus divers : descriptions pittoresques de lieux et de coutumes, tableaux de mœurs, considérations politiques d’un esprit toujours patriotique et libéral, et même des jugemens littéraires, sobrement et fermement exprimés, sur les écrivains et les prédicateurs, tels que Vinet et Adolphe Monod, qui ont illustré le protestantisme contemporain ! Le style, sans être d’un maître, ne manque ni d’élégance ni de mouvement. À peine pourrait-on y relever quelques négligences et certains provincialismes. Nulle trace de déclamation et de rhétorique religieuse n’y rebute le lecteur délicat ; mais, en revanche, on y sent partout la note sincère qui peint l’homme et le fait aimer : n’est-ce pas là la qualité maîtresse d’un bon style ?


EMILE BEAUSSIRE.