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Russie également nous voyons le nihilisme engendrer le communisme assassin et incendiaire.

Tant qu’il s’agit de montrer l’influence bienfaisante qu’exercerait le christianisme vraiment mis en pratique, l’évêque de Mayence écrit des pages très éloquentes et très pathétiques, mais, quand il faut enfin descendre sur le terrain économique et indiquer les moyens pratiques d’améliorer le sort des ouvriers, il se trouve plus embarrassé. C’est encore à Lassalle qu’il emprunte l’idée des sociétés coopératives de production au moyen desquelles l’agitateur socialiste promettait de transformer complètement l’organisation sociale. L’idée des sociétés coopératives est juste au fond; la difficulté est de la mettre en pratique. Le danger de la situation actuelle provient de l’antagonisme entre le capital et le travail. Mais si le même individu est à la fois capitaliste et travailleur, l’harmonie est établie, et le danger disparaît. Que le salarié actuel arrive à posséder une part de l’usine, de la ferme, du chemin de fer, de la mine où il est employé, et il recevra, outre le salaire, une part du bénéfice. Dès lors la guerre entre les classes cesse, puisqu’il n’y en a plus qu’une où tout capitaliste travaille et où tout travailleur jouit d’un capital. Le but final est donc de faire passer tous les instrumens de production aux mains des sociétés coopératives, afin de rétablir dans la grande industrie moderne une organisation du travail semblable à celle des métiers du moyen âge. Pour atteindre ce but, l’évêque de Mayence pense, comme Lassalle, que le self-help de M. Schulze-Delitsch, c’est-à-dire l’épargne faite par les ouvriers eux-mêmes, ne suffit pas. Mais, tandis que l’agitateur socialiste demande pour réformer l’ordre actuel 100 millions de thalers à l’état, le prélat catholique s’adresse à la charité chrétienne.

La question sociale, dit-il, touche intimement au christianisme. Le premier et le plus grand commandement de l’Évangile n’est-il pas d’aimer nos semblables et de secourir ceux qui souffrent? Ne devons-nous pas tout sacrifier pour le faire? Or comment remplir ce devoir que le Christ nous impose en termes si pressans et parfois si menaçans ? Ce n’est point par l’aumône seule, l’expérience l’a prouvé. Ce ne peut être qu’en mettant l’ouvrier à même d’améliorer son sort par la mise en valeur d’un capital lui appartenant, puisque les lois économiques réduisent toujours le salaire à un minimum insuffisant.

Puisse Dieu dans sa bonté, s’écrie Mgr von Ketteler, amener tous les bons catholiques à adopter cette idée des associations coopératives de production sur le terrain du christianisme! C’est ainsi qu’on apportera le salut à la classe laborieuse. Les libertés que promet le libéralisme sont semblables aux pommes de la Mer-Morte, brillantes au dehors, rien que cendres au dedans. Le libéralisme proclame