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et l’élargissement du prisonnier, ne se rencontre pas une seule fois pour l’explication des faits avec le récit de Boursault. On sait pourtant avec quel soin il avait consulté les sources, de quelle main fine et sûre il avait fouillé les vieux documens.

Quant aux aventures de la maréchale, je trouve deux indications rapides, il est vrai, mais qui sont de nature à éveiller l’attention, l’une dans Brantôme, l’autre dans Moréri. Brantôme, parlant des richesses du maréchal de Saint-André, de son magnifique château de Vallery, de ses « superbités et parures de beaux meubles très rares et très exquis, » ajoute ce renseignement : « La plupart desquels meubles Mme la maréchale de Saint-André, étant veuve, donna à M. le prince de Condé avec ladite maison de Vallery, tout en pur don, pensant l’épouser[1]. » Le renseignement donné par Moréri est plus grave encore et plus significatif ; Moréri nous apprend que Mlle de Saint-André, s’étant retirée à l’abbaye de Longchamps après la mort de François II, y mourut toute jeune encore « du poison que lui fit donner sa mère, dans l’espérance d’épouser le prince de Condé. » Voilà des drames secrets qui semblent se rapporter aux tragiques histoires racontées par Boursault. C’est bien en effet l’amour de la maréchale de Saint-André pour le prince de Condé, amour à la fois mystérieux et emporté, discret et violent, qui domine toute la fin du récit. Le rôle militaire et politique de Condé, le massacre de Vassy, la bataille de Dreux, la conclusion de la paix, bref les plus graves événemens de l’année 1562 laissent toujours apercevoir dans l’ombre l’ardente physionomie de la maréchale. Enfin, sept ans plus tard, le soir de la bataille de Jarnac, quand Montesquieu, sachant que Condé vient de se rendre, court à lui, le trouve blessé près d’un buisson, et froidement, lâchement, lui casse la tête d’un coup de pistolet, qu’est-ce donc qui pousse un gentilhomme à une telle infamie ? L’histoire n’en dit rien ; elle se borne à flétrir le meurtrier sans expliquer le crime. Boursault explique tout à sa manière. La maréchale, devenue veuve, espérait épouser le prince, qui lui-même venait de perdre sa femme, Elisabeth de Roye ; quand elle apprit que Condé venait de se remarier avec Mlle d’Orléans, sœur du duc de Longueville, elle jura de se venger. Montesquieu aimait l’amirale comme Oreste aimait Hermione ; l’amirale fit immoler Condé par Montesquieu, sauf à lui crier plus tard comme Hermione à Oreste :

Pourquoi l’assassiner ? qu’a-t-il fait ? à quel titre ?
Qui te l’a dit ?


Si aucun des mémoires jusqu’ici publiés ne parle de ces tragiques aventures, les deux passages cités par nous tout à l’heure indiquent

  1. Brantôme. Grands capitaines français. Voir œuvres complètes, édition Ludovic Lalanne, t. V, page 31.