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de Condé et de ses amis, c’est vraiment chose impossible. Bientôt pourtant les choses s’arrangèrent. Les Guise furent dédommagés, la reine mère, qui avait craint l’influence de Mlle de Saint-André sur l’esprit du roi, vit bien que cette influence ne la gênerait point. Marie Stuart reprit son indifférence. « Alors, dit Boursault, le prince de Condé, voyant que chacun était content, cessa de l’être, et, n’ayant pu se faire aimer de Mlle de Saint-André, il s’en voulut faire haïr. »

La haine qui anime Mlle de Saint-André contre le prince de Condé, les intrigues, les calomnies, les crimes même devant lesquels la maîtresse de François II n’hésite pas pour perdre son ennemi, voilà toute la première partie du roman. La scène hardiment scandaleuse et comique de la chambre des métamorphoses n’est ici qu’un prologue, et de ce prologue on passe tout droit à la conjuration d’Amboise, aux états d’Orléans, à l’arrestation du prince de Condé. Dans l’autre moitié du roman, ce n’est plus la vengeance d’une femme qui conduit les événemens, c’est au contraire un amour caché, un dévoûment tendre et mystérieux. Ce prince que Mlle de Saint-André poursuit d’une implacable haine, une autre personne de la cour le protège et le sauve en mainte rencontre. Devinez, si vous le pouvez, le nom de cette protectrice invisible : c’est Mme la maréchale de Saint-André, une toute jeune femme que le vieux maréchal a épousée en secondes noces et qui n’est guère plus âgée que sa belle-fille. Contraste et lutte de deux ardentes passions féminines ! Au reste, cette lutte ne se prolonge pas longtemps. Mlle de Saint-André, après la mort de François II, se retire à l’abbaye de Longchamps et disparaît de la scène, la maréchale reste seule au premier rang de l’action.

Qu’y a-t-il de vrai dans tout cela? Boursault insinue qu’il s’est servi des mémoires de l’époque. Cependant une chose certaine, c’est que les mémoires publiés n’en parlent pas. En ce qui concerne le premier point, c’est-à-dire l’histoire de Mlle de Saint-André, il n’y en a nulle trace dans le recueil de pièces qui porte le nom du prince de Condé. Ni Pierre de La Place, ni Régnier de La Planche n’en disent mot. Brantôme s’occupe assez souvent du maréchal de Saint-André, de sa femme, de sa fille; il a aussi mainte occasion de parler du prince de Condé, il cite à plusieurs reprises cette fille de la cour de la reine mère, Mlle de Limeuil, qui fut une des maîtresses du prince; s’il a connu les étranges rapports de Mlle de Saint-André avec l’adversaire des Guise, il s’est montré vraiment bien discret. Enfin, chose plus frappante encore, M. Vitet, qui a si bien mis en scène toutes les péripéties des états d’Orléans, l’attitude des Bourbons, le rôle des Guise, le double jeu de Catherine de Médicis, l’arrestation du prince de Condé, puis la mort subite de François II