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vers par cœur. » Brillant succès et dont le poète n’aurait eu qu’à se réjouir si ses feuilles légères, s’envolant de la cour à la ville, ne fussent arrivées aux capucins du Marais. Les capucins étaient déjà fort irrités de l’outrage fait à la barbe de leur vénérable frère; quand ils surent qu’un gazetier en égayait le public, ils n’eurent cesse que le coupable ne fût puni. Ils s’adressèrent au confesseur de la reine pour obtenir aide et protection auprès du roi. Ce confesseur était un cordelier espagnol qui n’entendait pas raillerie; il parla si vivement à la reine que la bonne Marie-Thérèse se trouva toute confuse d’avoir pu écouter en souriant pareille impiété. A son tour, et afin d’apaiser ses scrupules, elle pressa le roi de faire un exemple. Le roi prit la chose en plaisanterie : faire un exemple pour un badinage ! punir un homme d’esprit pour la plus innocente des historiettes ! flétrir comme une licence un amusement dont toute la cour a ri, et la reine la première! Voilà ce qu’il lui dit, et bien d’autres choses encore, car il mit tous ses soins à l’adoucir; il n’y réussit point, et « la voyant obstinée à le prendre sur le sérieux, il la laissa la maîtresse de faire tout ce qu’elle voudrait. »

Alors, — c’est toujours le théatin, fils de Boursault, qui nous fournit ces curieux renseignemens, — la reine manda le chancelier Séguier, « à qui elle ordonna de retirer le privilège accordé à l’auteur et de l’envoyer à la Bastille jusqu’à nouvel ordre pour lui apprendre à ne pas badiner avec les saints. » Le chancelier, qui aimait les gens de lettres, et qui appréciait personnellement Boursault, exécuta les ordres de la reine le plus doucement qu’il lui fut possible. Il savait bien d’ailleurs qu’il ne déplairait pas au roi, si en atténuant les rigueurs de la reine il déjouait les injonctions du confesseur espagnol. Il fit venir l’officier chargé d’arrêter Boursault et lui recommanda des ménagemens particuliers : «Qu’on laisse à M. Boursault tout le loisir nécessaire pour écrire au roi et à ses protecteurs. » L’officier se conforma si bien aux ordres du chancelier, il fut si courtois et de si bonne composition, que le poète, déjeunant avec quelques amis au moment où lui arriva cette visite inattendue, le pria de se mettre à table avec eux. Les convives étaient gens d’esprit, le maître du logis les mettait en verve, et il est probable que l’officier de la maréchaussée n’avait jamais assisté à pareille fête, car, bien que Boursault ne fût pas fort content, nous dit son fils, du gîte où il devait coucher, il ne perdit rien de sa belle humeur. Le repas terminé, il profita du loisir qu’on lui laissait pour écrire à M. le Prince, à Louis de Bourbon, celui que l’histoire appelle le grand Condé. Allait-on renouveler, sous une influence espagnole, les persécutions des mauvais jours? Allait-on traiter le candide Boursault comme on avait traité quarante années auparavant l’audacieux