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II.

Entre toutes les découvertes dues au génie de Claude Bernard, celle de la glycogénie hépatique est certainement la plus éclatante. Rien ne la faisait présumer. La circulation du sang avait trouvé ses précurseurs jusque dans l’antiquité, et Galien en soupçonnait quelques élémens ; dès l’époque de la renaissance, quelques anatomistes l’avaient obscurément pressentie. Pour la glycogénie hépatique, rien de pareil: le fait n’était pas seulement nouveau et étrange; il allait contre les enseignemens reçus. Il était accrédité que le sucre comme l’amidon étaient produits exclusifs du règne végétal, et, en dehors du sucre, introduit par l’alimentation, on n’imaginait pas qu’un organisme animal eut besoin d’en fabriquer pour que la vie se maintînt en lui. Ce fut là pourtant ce que Claude Bernard démontra; et, au cours de sa démonstration, ce ne fut pas seulement l’existence d’une fonction inconnue du foie qu’il dévoila, ce fut l’une des conditions de la nutrition intime de nos tissus, l’une des conditions de la vie elle-même qu’il fit connaître. Je ne sais rien de plus attachant, dans l’histoire des sciences, que les phases, que la série de faits et d’idées, d’expériences successives, et dont les résultats étaient souvent pressentis et comme devinés, par lesquelles la découverte de la glycogénie animale a passé. Comme Claude Bernard éclaire ce fait de la fabrication du sucre dans le foie, comme il en suit les origines et les aboutissans, comme il en recherche et trouve les conditions ! Il ne l’abandonne que lorsqu’il l’a entouré de toutes les lumières que la science met en ses mains; si bien que la découverte est parfaite, qu’il n’y a, pour ainsi dire, plus rien à lui ajouter. C’est la marque des grands inventeurs ; ils achèvent, des fondemens jusqu’au faîte, le monument qu’ils élèvent; ainsi fit Harvey pour la circulation du sang, ainsi Laennec pour l’auscultation de la poitrine, ainsi Claude Bernard pour la glycogénie hépatique.

Il ne nous est pas permis d’exposer ici tout un résumé de la glycogénie animale; quelques traits saillans peuvent cependant être détachés du tableau, et feront valoir la grandeur de l’œuvre.

A la suite de recherches sur la digestion et l’élimination des matières sucrées, Claude Bernard fut conduit à rechercher si le sang contient normalement du sucre. Il découvrit de la sorte la glycémie physiologique, c’est-à-dire la présence normale du sucre dans le sang. Or il y a deux sangs : le sang artériel qui va aux organes et les nourrit; le sang veineux qui revient des organes, et qui, ayant servi à leur nutrition, est appauvri dans certains élémens, et charrie tous les déchets de l’incessante désassimilation des tissus. Le sucre