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l’ennemi dans un intérêt de parti ou de secte. M. Gambetta lui-même le sait bien, et ce n’est pas précisément avec bonne humeur qu’il a reçu l’autre jour des délégués municipaux de Marseille allant lui parler de l’amnistie. M. Gambetta aurait peut-être dispensé ses visiteurs marseillais de leurs interpellations, et il ne s’est pas compromis par ses promesses. Pourquoi cependant avoir l’air de tergiverser encore et de se sauver par ce faux-fuyant d’une étude qui est toute faite ? Pourquoi ne pas saisir l’occasion de donner une bonne fois une explication décisive, de préciser ce qui est possible, ce que la clémence peut accorder et ce qui rend inacceptable une amnistie telle qu’on la représente, telle qu’on la réclame ?

Le danger est de perpétuer ou de renouveler à tout propos ces confusions devant lesquelles l’opinion s’arrête incertaine et flottante, toujours prête à se demander où est la vraie direction, ce qu’on veut réellement, ce qu’il faudra de concessions mutuelles pour que cette majorité républicaine, composée de nuances assez diverses, arrive à garder une apparence de cohésion. C’est évidemment l’intérêt du régime nouveau de se fixer désormais, d’avoir une politique parfaitement nette qui dissipe ces équivoques, qui écarte résolument toutes les questions oiseuses et agitatrices, qui tâche de se défendre des passions exclusives des partis et crée en un mot ce courant de sérieux libéralisme où toutes les bonnes volontés peuvent se rencontrer au service des institutions nouvelles. C’est pour le moment la nécessité la plus pressante, parce que l’incertitude est le mal le plus sensible, et qu’on ne dise pas que ce sont là de simples détails dans une situation généralement favorable, que malgré tout la république est fondée, qu’elle est définitivement fondée et impérissable ! Oui, sans doute la république peut être fondée, elle peut rester le régime régulier et définitif de la France, si elle sait prendre sa direction et son équilibre, si elle se dégage de ces agitations et de ces incohérences qui sont pour elle un piège éternel, si elle a enfin cette politique qui est aujourd’hui une impérieuse nécessité, qui seule peut la préserver des écueils et rallier les esprits éclairés en rassurant tous les intérêts. Elle peut fort bien au contraire n’être pas fondée, ou du moins elle est exposée à être perpétuellement contestée si elle se laisse aller aux emportemens et aux fantaisies de ceux qui prétendent être ses défenseurs privilégiés, si elle est une œuvre de parti, si on se fait un jeu, sous prétexte de la servir, de tout remuer, de tout agiter et de tout menacer. C’est là malheureusement ce que font encore beaucoup de républicains qui appartiennent à la majorité et qui n’en sont pas la force la plus réelle, l’élément le plus rassurant. Un jour c’est l’amnistie, un autre jour ce sont les enquêtes et les invalidations ; puis ce sera, si l’on veut, la guerre contre le cléricalisme ou contre la magistrature, et en définitive, sait-on ce qui résulte de tout cela ? On se dé-