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M. James Fazy, qui a toujours uni au tempérament d’un dictateur les opinions d’un libéral, a reproché à M. Carteret « de vouloir créer une république jacobine, qui, sous prétexte d’intérêt général, engendre toute sorte d’oppressions particulières. » On ne saurait cependant accuser M. Carteret d’être un terroriste, un buveur de sang. Il n’a fait tomber aucune tête, la guillotine ne figurera jamais parmi ses moyens de gouvernement. Si son éloquence est un peu acerbe, s’il prodigue trop l’apostrophe, cela ne tire pas à conséquence. Ses mœurs sont douces, il aime les lettres à ses momens perdus, il cultive la poésie, il a publié un volume de fables qui méritent d’être lues; mais nous préférons en lui le fabuliste à l’homme d’état. Ses vers ont souvent du charme, sa façon d’administrer une république n’en a point du tout. Il a du goût pour les procédés inquisitoriaux. Ainsi que beaucoup d’autres démocrates parvenus au pouvoir, il entend que le gouvernement auquel il préside s’occupe de tout, s’ingère en tout, se mêle de tout, pour contrôler, pour diriger, pour inspecter, pour admonester, pour récompenser ou pour blâmer. Il a horreur du jacobinisme sanguinaire; celui qu’il professe et qu’il pratique avec amour est un jacobinisme indiscret et tracassier, qui regarde tout ce qui se passe par un judas. Le projet de révision proposé par ses amis avec son assentiment portait que non-seulement l’enseignement primaire est obligatoire et qu’il est gratuit dans les écoles publiques, mais que « l’état pourvoit à ce que l’instruction primaire privée soit suffisante. »

Cet article est un de ceux qui ont le plus contribué à indisposer le peuple genevois; il a jugé qu’autant valait interdire l’instruction privée et autoriser le pouvoir exécutif à déclarer insuffisantes les leçons de tout maître dont la figure ou les opinions auraient le malheur de lui déplaire. Au surplus le Caucus avait clairement révélé ses intentions. Il était dit dans le rapport de la majorité du grand-conseil, qui appuyait le projet, qu’il appartenait à l’état de veiller à ce que l’instruction donnée par les établissemens privés fût non-seulement suffisante, mais morale, et on ajoutait : « Nous prenons ce dernier mot dans le sens le plus large. Pour nous est immorale toute éducation qui inculque à la jeunesse des notions fausses et dangereuses, qui pervertit son jugement et, sous l’empire d’une préoccupation intéressée, s’applique à dénationaliser l’enfant; est pour nous coupable tout enseignement qui s’inspire d’une tendance hostile à notre indépendance, au principe démocratique sur lequel reposent la dignité et la sécurité du pays. » C’est parler d’or; à ce compte que devient la liberté de l’enseignement? Du même coup on la proclame et on la supprime. Si le projet avait été voté, tel instituteur privé qu’on soupçonne de regretter le temps où les prêtres pouvaient se promener en soutane dans les rues de Genève, tel autre qu’on accuse d’avoir un goût trop vif pour la