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littératures étrangères : là se trouveraient toutes les conditions voulues; d’abord l’anecdote connue du monde entier, puis la pièce, puis les caractères. On avait devant soi la page toute tracée, il ne s’agissait plus que d’y mettre les enluminures; travail de curieux, d’ornemaniste, tenant de la calligraphie et du commentaire. Les maîtres de l’âge précédent avaient créé de toutes pièces, on s’adressa de préférence aux illustrations, à l’arabesque, on appliqua musicalement au Faust de Goethe la nonchalante et mièvre imagerie d’Ary Scheffer; Mignon, Hamlet et Roméo eurent les violens à leurs trousses. Assurément nous ne prétendons point que la musique se fût fait faute jusqu’alors de toucher aux chefs-d’œuvre du théâtre étranger, mais c’était la première fois que l’exploitation revêtait en quelque sorte couleur poétique et semblait viser autre chose que le simple élément anecdotique du sujet. Qu’était-ce que la part psychologique attribuée à l’inspiration musicale dans tous ces emprunts antérieurs faits aux répertoires de Shakspeare ou de Schiller? absolument rien. Qu’est-elle aujourd’hui? absolument tout. Les Romeo anecdotiques, les partitions à quatre duos d’amour, comme disait Rossini, couvraient déjà la place bien avant que M. Gounod vînt au monde, et son ouvrage nous est né juste à point pour compléter la douzaine.

Comptons un peu : il y eut en premier lieu, voici tantôt cent ans, celui de Benda, un Roméo en trois actes, les délices des amateurs d’outre-Rhin à cette époque, et que Forkel classe fort au-dessus des opéras de Gluck. La pièce a quatre personnages, le dialogue parlé y joue un rôle important, point de finales ni de grands morceaux, un chœur seulement et très court au dénoûment pour conclure; l’opéra s’ouvre par un air passionné de Juliette auquel succède un duo non moins délirant de Roméo, tout cela sans préparation ni souci des gradations scéniques. En dehors du couple amoureux figure le vieux Capulet, chantant le baryton, et Fraulein Laura, une espèce de soubrette égrillarde remplaçant la nourrice. Au dénoûment, Juliette secoue sa léthargie et se réveille juste à temps pour empêcher Roméo de prendre le poison; les deux amans se précipitent dans les bras l’un de l’autre, et tout finit par un rondo. Il va de soi que je ne parle ici que sur ouï-dire. Le docteur Hanslick, qui, paraît-il, connaît à fond l’œuvre de Benda, en vante beaucoup la mélodie et surtout l’expression dramatique infiniment supérieure, selon lui, aux diverses interprétations italiennes du sujet. Le Roméo de Benda est de 1772; Schwanberg, en 1782, écrit le sien, puis se succèdent presque coup sur coup celui de Marescalchi (1789) et celui de Rumling (1790). Dalayrac, en 1792, inaugure la série française que Steibelt un an plus tard enrichit de son chef-d’œuvre. Avec Zingarelli, l’Italie commence à prendre part à ce concours des nations; puis quatorze ans s’écoulent ju