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Et cet être adoré, cette femme angélique
Que, dans l’air embaumé, Raymon voit voltiger,
Cette frêle Indiana dont la forme magique
Passe sur les miroirs, comme un spectre léger,
George, n’est-ce pas la pâle fiancée
Dont l’ange du désir est l’immortel amant;
N’est-ce pas l’Idéal, cette amour insensée
Qui sur tous les amours plane éternellement?

Ah ! malheur à celui qui lui livre son âme
Qui couvre de baisers, sur le corps d’une femme,
Le fantôme d’une autre, et vient sur la beauté
Boire l’illusion dans la réalité!
Malheur à l’imprudent qui, lorsque Noun l’embrasse.
Peut penser autre chose, en entrant dans son lit.
Sinon que Noun est belle, et que le Temps qui passe
A compté sur ses doigts les heures de la nuit !

Demain le jour viendra, demain désabusée,
La trop fidèle Noun, par sa douleur brisée.
Rejoindra sous les eaux l’ombre d’Ophélia;
Elle abandonnera celui qui la méprise;
Et le cœur orgueilleux qui ne l’a pas comprise
Aimera l’autre en vain; n’est-ce pas, Lélia?


ALFRED DE MUSSET.


1836.