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En présence de ces faits, qui se reproduisent toujours les mêmes et que corroborent des observations faites sur d’autres points de la France, notamment dans le département de l’Aude par M. Cantegril, conservateur à Carcassonne, on peut affirmer comme une loi que les forêts, surtout les forêts résineuses, augmentent notablement la quantité de pluie qui tombe dans une région. Ce phénomène est facile à expliquer, car les forêts, en abaissant la température, provoquent la condensation des vapeurs contenues dans les vents humides qui viennent à souffler; d’un autre côté, ces vents, arrêtés par les arbres, sont forcés de s’élever dans l’atmosphère pour surmonter cet obstacle; ils se trouvent ainsi comprimés par les couches supérieures et laissent échapper l’eau qu’ils tiennent en suspension. Dans une région dénudée, le sol s’échauffe rapidement, échauffe l’air ambiant, qui se dilate, s’élève et entraîne, sans les condenser, les vapeurs amenées par les courans atmosphériques. Ces vapeurs ne se résolvent en pluie que lorsqu’un vent contraire, venant arrêter le courant primitif, les condense, par la pression qu’il exerce. En région boisée au contraire, l’air ne s’échauffe pas, et l’humidité se condense naturellement sans perturbation atmosphérique.

Une grande partie de la pluie qui tombe sur les massifs boisés est arrêtée par le feuillage et restituée plus tard directement à l’atmosphère, il n’en arrive jusqu’au sol que de 60 à 70 pour 100 environ, tandis qu’en terrain découvert ce déchet n’existe pas. Mais les tableaux de M. Fautrat indiquent que cette différence est plus que compensée par la différence d’évaporation qui se produit de part et d’autre. En plaine, où le soleil et le vent exercent leur action sans obstacle, l’évaporation est cinq fois plus considérable qu’en forêt, où le dôme de feuillage et la couche des feuilles mortes forment des écrans contre l’action solaire, et où la tige des arbres supprime l’action du vent. Si donc le sol de la forêt reçoit moins d’eau que celui de la plaine, par contre il en conserve davantage et l’emmagasine dans les couches inférieures. C’est ainsi que les forêts contribuent à alimenter les sources et donnent aux cours d’eau un niveau à peu près constant. Aussi, s’il est utile que partout les montagnes soient boisées, c’est surtout dans les pays chauds que la présence des forêts est nécessaire, car non-seulement elles y abaissent la température, mais elles y amènent de l’eau sans laquelle aucune végétation n’est possible.

Il faut savoir beaucoup de gré à MM. Mathieu et Fautrat d’avoir entrepris ces études et de la persévérance qu’ils ont mise à suivre, pendant de longues années, ces observations continues et monotones. En les faisant connaître à ceux pour qui l’exposition n’est pas un simple spectacle, ils ont démontré expérimentalement que les forêts exercent une action réelle sur le climat d’une contrée,