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sur les arrangemens concertés en 1857, entre les deux empereurs, lors de l’entrevue de Stuttgart[1].

Ses griefs étaient fondés, bien qu’il les exagérât à plaisir, pour colorer l’évolution qu’il venait d’opérer. Il avait lieu d’être froissé de nos a parte avec M. de Bismarck et des refus secs et persistans que M. Drouyn de Lhuys avait opposés à la proposition du congrès. Mais en produisant son inventaire qui, disait-il, se soldait tout à son désavantage, il oubliait la conduite de la France, lors de la guerre de Crimée. Elle méritait cependant de figurer dans son bilan. Jamais un pays maltraité par le sort des armes ne s’était trouvé, comme la Russie en 1856, en face d’un vainqueur plus préoccupé de la seule pensée de ménager sa dignité, de le relever à ses propres yeux, et d’atténuer les conséquences de sa défaite. Puisse la Russie n’être jamais aux prises avec de plus dures exigences, et puisse le prince Gortchakof, dans les comptes courans qu’il a ouverts à d’autres puissances, n’avoir jamais à constater de déficits plus graves que ceux qu’il relevait si amèrement en 1866 !

Vers la fin d’août, M. d’Oubril, qu’on avait mandé à Saint-Pétersbourg, revenait à Berlin. Dès son retour, il témoignait, par son attitude et par son langage, du revirement qui s’était opéré à sa cour. L’entente était consommée; M. de Bismarck ne cherchait plus qu’un prétexte pour rompre avec nous. Il avait retiré de ses négociations dilatoires bien au-delà de ce qu’il pouvait espérer. Il manifesta par ses allures qu’il avait hâte d’en finir, et, comme il nous en coûtait de comprendre le motif secret de ses hésitations à signer le traité, il prit texte de notre insistance pour exprimer des méfiances et mettre en doute notre sincérité. Il se demandait si l’empereur n’abuserait pas des engagemens qu’on voulait imposer à la Prusse pour la brouiller avec l’Angleterre!

Ce mot cruel fut le mot de la fin. « Quel degré de confiance, écrivait M. Benedetti au sortir de ce pénible entretien, pouvons-nous accorder à des interlocuteurs accessibles à de pareils calculs ? » Et il ajoutait : « Si l’on se dispense de compter avec nous, et si l’on décline notre alliance, c’est qu’on est pourvu ailleurs. »

Quelques jours après, l’ambassadeur partait pour les eaux de Carlsbad, et le ministre, que la plage de Biarritz ne devait plus revoir, se retirait dans son domaine de Varzin.


G. ROTHAN.

  1. Les deux souverains étaient convenus de se concerter et de s’appuyer diplomatiquement dans toutes les éventualités.