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dont trois cent mille à prendre dans le Palatinat supérieur. On entendait s’arrondir à ses dépens, s’annexer la Franconie, et s’étendre jusqu’à Kissingen, dont les riches salines formaient une partie importante de son revenu.

M. de Bismarck déployait dans ces pourparlers toutes les qualités de son génie, si multiple; il se montrait tour à tour implacable et débonnaire ; il mêlait l’ironie à ses exigences. Il ne contestait pas que ses demandes ne fussent excessives, et il plaignait la cour de Munich, moins heureuse que celles de Darmstadt, de Bade et de Stuttgart, de se trouver sans l’appui d’une grande puissance pour la protéger contre les rigueurs du roi et du parti militaire. « Que voulez-vous, disait-il philosophiquement à M. de Pfordten, personne ne s’intéressant à votre sort, il est équitable que vous payiez pour tout le monde. »

Ce ne fut qu’après avoir fait passer les quatre ministres vaincus par toute la gamme des émotions, et s’être donné l’âpre plaisir de leurs angoisses et de leurs humiliations, que M. de Bismarck se départit subitement de ses rigueurs. Notre projet de convention en main, et dans un langage à la fois pathétique et plein de mansuétude, il leur laissait le choix ou de disparaître à peu de chose près de la carte d’Allemagne, ou d’obtenir une paix relativement clémente en signant des traités qui permettraient à leur patriotisme de se repentir et de s’associer contre l’ennemi héréditaire pour la défense d’une même patrie. M. de Bismarck, à la date du 22 août, était arrivé à ses fins avec une habileté peu commune, et il est permis d’ajouter, secondé par un bonheur sans précédens.

En s’assurant du même coup, pour une guerre désormais inévitable avec la France, le concours armé de l’Allemagne méridionale et les moyens de tenir l’Autriche en respect par la Russie, il se trouvait en mesure de nous éconduire; il n’avait plus à se préoccuper de notre courroux ; notre ressentiment, au lieu d’être un danger, allait devenir l’élément principal d’une politique nouvelle. Les victoires de l’armée et les habiletés de sa diplomatie autorisaient désormais toutes les combinaisons et tous les procédés. Convaincu de sa force, il devait en user sans scrupule au gré de son ambition.

J’ai dit, au début de cette étude, en parlant de l’entrevue de Biarritz, que M. de Bismarck se flattait qu’en graduant ses concessions d’après la marche des événemens et les résultats de la guerre, il pourrait les concilier avec le sentiment national et régler nos avantages suivant l’assistance que nous lui aurions prêtée. C’est ainsi qu’il avait procédé. Jusqu’à la veille de la guerre, il n’eût dépendu que de nous de nous assurer, comme prix de notre neutralité et de l’alliance Italienne, la Belgique, le Luxembourg, le Palatinat et peut-être