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devant les preuves constatant d’une manière irréfragable notre défection à la cause de l’équilibre européen. Ils étaient convaincus que désormais ils n’avaient plus rien à attendre de la France et qu’elle les sacrifiait à ses intérêts particuliers. Aussi, tandis qu’à Prague on s’appliquait à tracer la ligne du Mein, et que M. Drouyn de Lhuys se félicitait, dans une dépêche à notre envoyé auprès de la cour de Munich, des résultats de son intervention en faveur de la Bavière[1], les ministres des états du midi allaient signer les traités d’alliance offensive et défensive qui mettaient, en cas de guerre, leurs forces militaires à la disposition du roi de Prusse[2].

L’histoire de ces traités n’a pas encore été écrite ; elle mériterait de l’être. On a prétendu que le gouvernement français fut longtemps à les ignorer, et qu’il n’en connut l’existence que par la publication qu’en fit, au mois de mars 1867, le moniteur prussien en réponse à un discours agressif de M. Thiers. Sa diplomatie les lui révélait, je suis à même de l’affirmer, le 20 novembre 1866, d’une manière certaine, avec les détails les plus circonstanciés. Ils ne furent signés qu’après une résistance désespérée, opposée à de cruelles exigences. On comptait sur notre intervention, et on la sollicitait secrètement. On se refusait à croire que la France pût permettre à la Prusse d’abuser de ses victoires, et d’anéantir impunément l’œuvre séculaire de notre politique. On nous certifiait qu’une armée, débouchant dans le Palatinat supérieur, produirait un effet irrésistible; on nous disait que l’Allemagne du midi n’était qu’étourdie par les succès de la Prusse, et l’on ne doutait pas qu’à « l’apparition des pantalons rouges » elle ne retrouvât le courage et la force de résister à l’envahisseur. C’était le langage du désespoir bien justifié par les procédés du vainqueur.

C’est à la Bavière surtout qu’on en voulait à Berlin[3]. Elle avait poursuivi le rêve ambitieux d’un de ses ministres, M. de Mongelas, et au lieu de sortir des événemens comme elle l’espérait, en arbitre écouté, entre les deux grandes puissances allemandes, elle avait soulevé, par les équivoques de sa politique, à la fois les ressentimens de la Prusse et ceux de l’Autriche. Aussi lui demandait-on 75 millions de francs d’indemnité de guerre, autant qu’à l’Autriche, et huit cent mille habitans, le cinquième de sa population,

  1. «Je suis heureux de penser, écrivait M. Drouyn de Lhuys en réponse aux remerciemens chaleureux de M. de Pfordten, que notre dernière démarche n’a pas été sans influence sur le résultat d’une négociation qui se termine d’une manière plus satisfaisante que le cabinet de Munich ne pouvait l’espérer. » — Dépêche de M. Drouyn de Lhuys du 14 août 1866.
  2. Bade signait le 17 août, la Bavière et le Wurtemberg le 21 et le 22 août.
  3. M. de Bismarck lui avait offert une situation privilégiée en Allemagne.