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le cabinet de Berlin au sujet de la Belgique, et qu’irrités du refus persistant de la Prusse d’accéder à un marché que réprouvait son honneur politique, nous avions secrètement poursuivi et préparé la guerre. « La France n’a pas cessé de nous tenter par des offres, disait M. de Bismarck, aux dépens de l’Allemagne du midi et de ta Belgique. Je négociais dilatoirement sans jamais faire de promesses. Après l’allaire du Luxembourg, la France me renouvela ses propositions concernant la Belgique, et c’est alors qu’eut lieu la communication du manuscrit de M. Benedetti. »

Les dépêches du général Govone et les papiers de Cercey sont venus tardivement révéler la vérité des faits. Ils sont loin assurément de justifier notre politique, mais ils démontrent du moins jusqu’à l’évidence que l’annexion de la Belgique est une conception éminemment prussienne, qu’elle nous a été présentée en toute occasion, développée sous toutes les formes, que le gouvernement de l’empereur l’a repoussée d’abord obstinément et souvent avec indignation, et que notre politique, surprise et déconcertée par les événemens, ne s’y est arrêtée qu’au mois d’août 1866, en désespoir de cause, en face des agrandissemens de la Prusse, et sur de formelles incitations[1].

Le plaisir des dieux n’est pas toujours sans amertume. La publication des papiers de Cercey en est la preuve, elle a atteint l’homme dans son caractère et le politique dans sa grandeur.

Les gouvernemens n’ont rien à gagner à se reprocher réciproquement et publiquement des actes condamnables et des procédés qui ne sont plus de ce temps. Il se dégage de ces récriminations une moralité qui donne à réfléchir aux peuples.

A la fin d’août, M. de Bismarck n’avait plus rien à demander à la fortune. Ses prévisions les plus ambitieuses étaient dépassées. La clause des préliminaires assurant aux états du midi une existence indépendante n’était plus qu’une lettre morte avant même d’être insérée dans le traité de Prague, et il tenait « la grande alliance dont il avait besoin pour se prémunir contre le mauvais vouloir des autres puissances. » Pour obtenir ces deux grands résultats qui devaient peser si lourdement sur nos destinées, il lui avait suffi d’abuser de notre confiance. Ni le cabinet de Saint-Pétersbourg, ni les ministres dirigeans de Bavière et de Wurtemberg n’avaient hésité

  1. Le prince de La Tour d’Auvergne a raconté maintes fois que, lors de son ambassade à Berlin, M. de Bismarck ne cessait de lui parler de la Belgique et des combinaisons qu’il y rattachait. Il ne se décida qu’après des instances réitérées et pressantes à se rendre l’interprète de ces ouvertures. Sa dépêche resta sans réponse, et il dut inférer du silence du département qu’il répugnait au gouvernement de l’empereur d’entrer dans cet ordre d’idées.