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soustraite par des ministres irresponsables. Toute cette phase si décevante de la politique impériale n’a que trop justifié ces prévisions. L’empereur seul était responsable, du chef de la constitution de 1852 qui ne prévoyait ni sa maladie ni ses défaillances. Ses ministres avaient tous les avantages du pouvoir sans en connaître les inconvéniens. Ne relevant que de l’empereur, ils n’avaient à vrai dire souci que de la cour, de ses désirs ou de ses exigences. Leur tâche se réduisait à concilier les nécessités du service avec la pensée des Tuileries. Il n’en était pas de même du ministre d’état; sa situation était exceptionnelle et sans précédens. Par la nature de ses fonctions, il ne répondait que de sa parole. Il avait à défendre devant la représentation du pays les actes de ses collègues et la politique de son souverain. Il était l’esclave de l’opinion publique, il en subissait les fluctuations multiples, capricieuses, et il s’évertuait à satisfaire ses désirs changeans. Il se préoccupait moins de l’avenir que des nécessités présentes. Il était amené à subordonner tout aux dispositions des chambres, à ses succès oratoires qui lui permettaient de vaincre les résistances et d’assurer la majorité aux demandes du gouvernement. — Ces compromissions incessantes avec l’opinion publique étaient dangereuses, appliquées à la politique extérieure. L’intervention du ministre d’état dans de délicates négociations, alors que la suite et l’unité d’action étaient la première condition du succès, ne se serait justifiée tout au plus que si elle s’était exercée parallèlement, en parfait accord de vues et de sentimens avec le ministre des affaires étrangères. Mais les dissentimens étaient profonds au sein du cabinet, et M. Rouher, malgré la supériorité incontestable de son esprit, en était réduit, pour suppléer à son inexpérience, des choses de la diplomatie, à prendre des informations douteuses et à s’inspirer de conseils discutables. C’est ainsi qu’il en arriva, n’ayant en vue que le bien et la grandeur du pays, à soutenir dans le courant du mois d’août la politique des revendications, tandis que dans les premiers jours de juillet, préoccupé de l’Italie, il méconnaissait l’avantage du congrès et s’opposait à une démonstration militaire qu’imploraient l’Autriche et ses alliés, et qui était la seule chance d’être écouté.

Le départ de M. Drouyn de Lhuys ne devait pas avoir pour effet de calmer les ressentimens. L’insuccès a toujours provoqué des récriminations. La lettre adressée au marquis de Lavalette le 12 août parut inopinément en 1867 dans le Pall Mall, et elle fut reproduite par quelques journaux français. M. Drouyn de Lhuys en fit ses plaintes à l’empereur. Il voyait dans cette publication une manœuvre perfide ; on le rendait seul responsable des cruelles déceptions de notre politique. Il se défendit, et peut-être sa défense