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envoya à Berlin un personnage officieux, M. Hansen, toujours bien accueilli par M. de Bismarck, avec un mémoire dans lequel il développait longuement l’avantage d’un état neutre, interposé entre la France et la Prusse, sous la souveraineté d’un prince de la maison de Hohenzollern. « La formation d’un tel état, disait-il, en reculant un voisinage redoutable, permettrait à la France de renoncer aux revendications territoriales. » L’intermédiaire fut renvoyé à M. de Keudell, qui, dans un langage hautain et plein d’aigreur, révéla combien était profond le ressentiment laissé par notre médiation[1]. La Prusse n’ayant pas demandé l’intervention de la France, disait-il elle n’avait pas de salaire à lui payer. Cette intervention lui avait imposé la ligne du Mein, l’intégrité du territoire autrichien et du territoire saxon, ainsi que la clause relative au Slesvig du nord ; sans la France, il eût été possible de garder la Bohême et la Moravie, qui ne demandaient pas mieux que de devenir prussiennes. M. de Keudell parlait de l’alliance italienne avec dédain, disant qu’on aurait pu s’en passer. Il ajoutait d’un air suffisant que la Prusse, malgré son désir de maintenir ses bons rapports avec la France, préférait chercher le point d’appui de sa politique en Allemagne, et que pour sa part il ne reculerait pas devant une nouvelle guerre plutôt que de nous accorder une compensation quelconque.

Après ce dernier échec, M. Drouyn de Lhuys estima que toutes les chances de remettre notre politique à flot étaient irrévocablement perdues. Le ministère des affaires étrangères, qui avait tant de charme pour lui, devenait un pesant fardeau, qui s’augmentait chaque jour d’une responsabilité nouvelle. Il envoya sa démission, à la grande satisfaction de ses adversaires. On reprochait à ce ministre d’avoir, par l’exagération de ses sympathies autrichiennes, empêché tout arrangement avec la Prusse. C’était en effet le côté faible de sa politique. Il ne prévoyait dans ses combinaisons que le succès de l’Autriche. Les esprits chagrins prétendaient que M. Drouyn de Lhuys, bien qu’élevé dans les saines traditions de la politique française et tout en s’inspirant des plus sages résolutions, manquait des qualités indispensables pour en assurer le succès. « Son premier mouvement, disait-on, est toujours bon; malheureusement il s’en méfie. » On se demandait comment le A juillet, après la lutte qu’il avait soutenue au conseil, il avait pu pendant vingt-quatre heures abandonner l’empereur, inquiet et irrésolu, à des

  1. M. de Bismarck ne s’est pas réconcilié à l’heure qu’il est avec notre intervention, car naguère encore il en évoquait amèrement le souvenir devant le parlement. « Je rappellerai encore, disait-il, la tentative pacifique de Napoléon immédiatement après la bataille de Sadowa, dont les détails ne sont pas très connus. Ce que j’en ai pensé, je le sais, et ne l’ai point du tout oublié. J’ai gardé note de ce qui s’est passé alors, et il aurait été peut-être utile aux intérêts français que la France ne se fût pas posée en agent de la paix. »