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M. de Werther, pris au dépourvu par une démarche aussi péremptoire, était troublé et hésitant. Il ne se souciait pas de prendre acte d’une déclaration de cette gravité. — « Si une communication verbale ne vous suffit pas, lui dit sèchement le ministre de Russie, qu’à cela ne tienne, je vous passerai une note. »

Le cabinet des Tuileries n’ignorait pas cet incident; M. de Budberg s’évertuait d’ailleurs à l’associer aux protestations de son gouvernement. La fortune semblait ne nous abandonner qu’avec regret; elle s’offrait à nous une dernière fois. Il eût suffi à ce moment décisif d’un peu de clairvoyance et de décision pour tirer un merveilleux parti de l’irritation du cabinet de Saint-Pétersbourg et de l’effet produit par ses déclarations. Mais on s’obstinait à croire que de bons procédés, une confiance sans réserve, serviraient mieux les intérêts de notre politique qu’une démarche collective. Ne serions-nous pas dupes, si au lieu de tenir compte à la Prusse de ses sacrifices et de nous entendre avec elle, nous mettions dans la balance de l’Europe «des petits états sans consistance, des ombres qui ne pesaient plus rien[1] ? » M. de Goltz ne reconnaissait-il pas la légitimité de nos prétentions? n’exprimait-il pas le désir de satisfaire nos vœux et de contracter avec notre pays une alliance nécessaire et féconde? Toutefois notre diplomatie ne laissa pas ignorer à M. de Bismarck les incitations dont elle était l’objet de la part du cabinet de Saint-Pétersbourg, mais ce fut pour lui apprendre que nous les avions déclinées.

Fort de notre refus, le cabinet de Berlin répondit sur un ton dégagé au prince Gortchakof que, si, au mois de juin, il s’était rallié à l’idée du congrès, c’était pour prévenir un conflit, mais que, la guerre ayant éclaté, son engagement était sans valeur. Il revendiquait hautement le droit de régler avec les états qui l’avaient combattu les conditions de la paix, et de stipuler les avantages qui lui étaient acquis par la victoire. Il était convaincu sans doute, en répondant de la sorte, que plus il exaspérerait le cabinet de Saint-Pétersbourg, plus aisément il le ramènerait à lui lorsqu’avant peu il serait à même de lui administrer la preuve que ses pourparlers avec la France n’avaient eu qu’un caractère dilatoire et que ses infidélités à l’alliance russe n’étaient qu’un jeu de la politique commandé par de périlleuses circonstances.

Le roi quitta Nikolsbourg le 29 juillet, après avoir refusé aux ministres de Hesse et de Wurtemberg la faveur humblement sollicitée d’une audience. Quant à M. de Bismarck, il n’attendait pour rentrer glorieusement à Berlin que l’échange des ratifications consacrant l’agrandissement de la Prusse et sa suprématie en Allemagne.

  1. Papiers des Tuileries, lettre de M. Rouher.