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en termes généraux auprès de l’empereur les demandes de l’ambassadeur de Prusse, tout en ayant soin de faire remarquer que la question de la reconnaissance des annexions lui paraissait solidaire de celle de la rectification des frontières. Mais lorsque M. de Goltz revint pour lui soumettre la réponse de M. Drouyn de Lhuys, qui refusait de poursuivre les négociations si les deux questions n’étaient pas traitées simultanément, il resta muet. Il demandait à M. Conti qu’on lui déliât la langue. Sa Majesté voulait-elle que, dans son rôle officieux, il fût explicite ou non? Devait-il ne réclamer que les frontières de 1814, ou commencer par demander davantage?

Sur ces différentes questions, M. Rouher ne paraissait pas d’accord avec l’impératrice. Elle aurait voulu, comme elle l’écrivait, demander beaucoup ou ne rien demander, afin de ne pas réduire à l’avance nos prétentions définitives. L’avis était sage, car les grandes exigences, elle le sentait avec l’instinct qui caractérise parfois les femmes, n’étaient plus de saison un mois après Sadowa, et elle pensait que, puisqu’on avait laissé échapper l’occasion, il serait plus habile et plus digne de ne pas compromettre, par de mesquines revendications, le règlement définitif de nos comptes avec la Prusse. M. Rouher, à son point de vue spécial de ministre d’état, préoccupé comme il l’était avant tout des chambres et des difficultés intérieures qui allaient s’aggraver de plus en plus, répondait à cela : « Pour demander beaucoup, il faudrait être au lendemain de grands succès, et ne rien obtenir aujourd’hui, ce serait laisser en grande souffrance l’opinion publique. Le sentiment du pays, ajoutait-il, dirigé, entraîné et égaré par les habiletés des hommes de parti, réclame un agrandissement. C’est une mauvaise position qu’il faut faire cesser au plus vite. »

M. Magne n’avait pas attendu que la crise arrivât à sa période aiguë pour demander à l’empereur d’aviser : « Tout ce que j’entends, lui écrivait-il spontanément, en haut et en bas, dans le civil et le militaire, me donne la conviction que les rapides progrès et les prétentions présumées de la Prusse inquiètent, et que l’ingratitude injustifiable de l’Italie irrite les esprits les plus calmes. Malheureusement on dit beaucoup que la France n’est pas prête, et il est évident que plus cette opinion sera répandue, moins sa voix sera écoutée : la fortune ne sourit qu’aux forts et aux résolus. »

Esprit net et précis, peu enclin à l’optimisme, M. Magne n’était pas de ceux qui pensaient qu’il nous suffirait de formuler des demandes pour les faire accepter. Il suppliait l’empereur d’arrêter un plan et, après avoir bien médité les concessions possibles, de déclarer nettement et clairement ce que la France voulait, ce qu’elle était résolue à obtenir et ce qu’elle était en état d’imposer. « Le sentiment national, ajoutait-il, serait profondément blessé si, en