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discours éloquens prononcés en Savoie et en Dauphiné ! » Le fait est qu’avec toute son éloquence M. Gambetta n’aide pas aux rêves paisibles et ne simplifie pas toujours la tâche des gouvernemens sensés. En cela, il n’est point un parfait opportuniste !

Ce n’est pas assurément que M. Gambetta ait dit à Grenoble beaucoup plus qu’il n’avait dit à Romans. C’est toujours la même chaleur d’imagination, le même torrent d’éloquence, le même thème, le même tissu d’amplifications mêlées parfois de vues fortes et justes. Au fond, ce nouveau discours ne manque pas d’une certaine modération, il est plus bruyant que sérieusement menaçant ; mais M. Gambetta a beau faire, il ne peut se défendre de l’esprit d’exagération. Au même instant où il exprime des idées qui révèlent sa portée politique, qui seraient parfaitement acceptables, il se répand en agressions violentes, en déclarations de guerre à tout ce qui n’est pas de son parti, en intempérances grossières, en paroles de mauvais goût sur les « aristocrates, » sur les oligarchies. C’est peut-être d’un tribun, ce n’est point assurément d’un homme public aspirant à jouer un rôle sérieux parmi ses contemporains. Et puis quelle préoccupation étrange pousse donc M. Gambetta à reprendre sans cesse cette expression baroque de a nouvelles couches sociales, » qu’il a trouvée un jour, il y a six ans, à Grenoble même, et à laquelle il paraît tenir comme on tient à une invention malvenue ? Quelle est sa pensée réelle ? S’il veut dire que les générations nouvelles doivent s’ouvrir un chemin et prendre place à leur tour sur la scène, ce n’est point là vraiment un aperçu d’une extrême nouveauté. S’il prétend que les enfans du peuple, des classes laborieuses, des ouvriers de la terre aussi bien que de l’atelier, ont comme les autres le droit de s’élever par le travail, d’entrer dans les conseils publics, dans l’administration des affaires, dans les fonctio’is, est-ce que ce droit n’est pas reconnu partout et partout exercé ? D’où vient-il lui-même ? Est-ce qu’avec les dons de son esprit et de son éloquence il a rencontré des obstacles ou même des préventions sur son chemin ? Est-ce que depuis longtemps notre monde n’est pas peuplé d’hommes qui se sont élevés de la condition la plus humble à la fortune et aux positions les plus considérables ? Où donc aperçoit-on désormais dans notre société française des privilèges de caste, des démarcations blessantes ? Si M. Gambetta ne veut que ce que la révolution française a donné à tout le monde, il n’a pas besoin d’entrer en guerre, la conquête est faite et irrévocable. En insisiant encore dans son dernier discours sur ces fameuses » nouvelles couches, » qu’il flatte, qu’il évoque comme si à elles seules elles représentaient l’avenir, il laisserait supposer qu’il a quelque autre idée, une vague arrière-pensée de revendication exclusive et révolutionnaire. C’est l’inconvénient de ces banalités retentissantes qui ne sont le plus souvent après tout que des banalités et