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En vérité ce n’est pas une médiocre hardiesse que d’essayer ainsi de retourner, de bout en bout, l’opinion traditionnelle, et ce ne serait pas un mince succès que d’y réussir à moitié seulement.

La thèse n’est pas précisément nouvelle, et les lecteurs de la Revue la connaissent. Elle était déjà tout entière dans l’une de ces savantes et piquantes études sur le XVIIIe siècle, que leur rappellera le nom de M. Aubertin. Le même historien, depuis lors, dans un livre composé, — tout comme un autre, — sur pièces inédites, l’Esprit public au dix-huitième siècle, reprenant sa pensée, l’éclaircissant encore, la justifiant par de nombreuses citations, bien choisies, bien disposées surtout, l’avait amenée jusqu’à ce point, si difficile à discerner, qui sépare une idée neuve d’un paradoxe, et la vérité jusqu’alors inaperçue de l’exagération d’elle-même. Ce point, la question est justement de savoir si M. Rocquain ne l’a pas dépassé. C’est beaucoup que d’avoir une idée juste, mais il faut prendre garde que l’idée la plus juste est toujours bornée, balancée, contredite par une autre idée non moins juste. L’oublier un seul instant, c’est être déjà tombé dans l’erreur, comme, selon le vieux et vrai proverbe, c’est tomber dans l’injustice que d’oublier qu’un autre droit borne toujours le droit. Summum jus, summa injuria.

Certainement, quand M. Rocquain cherche dans l’histoire intérieure du XVIIIe siècle les véritables origines de la révolution française, il est dans la bonne voie, dans la voie nouvelle ouverte, il y a plus de vingt ans, par Alexis de Tocqueville, aux historiens de la révolution. Nous ne saurions plus nous contenter aujourd’hui, comme au temps où M. Thiers écrivait de cette grande histoire le récit le plus clair, le plus vif, je ne dirai pas le plus impartial, et j’ose ajouter le moins philosophique, nous ne voudrions plus nous contenter de quelques lignes jetées au courant de la plume sur les causes prochaines de l’événement. C’est que nous ne croyons plus, comme alors, que l’explosion révolutionnaire ait creusé je ne sais quel infranchissable abîme entre la France d’autrefois et la France d’aujourd’hui. Nous ne croyons plus qu’au seul tonnerre de la parole de Mirabeau, l’ancien édifice de la monarchie française, avec tout ce qu’il contenait de traditions éprouvées, d’enseignemens utiles et de glorieux souvenirs, se soit effondré d’une ruine si complète qu’il n’en soit pas resté pierre sur pierre. Et si nous ne croyons pas encore avec M. de Sybel que la a ruine de la monarchie française par la révolution démocratique » puisse être mise au même plan de l’histoire générale que « la dissolution de l’empire allemand, » — nous ne croyons plus cependant que le canon de Valmy, selon la parole de Gœthe, ait inauguré l’avènement d’une ère nouvelle dans l’histoire du monde. Nous savons que l’histoire