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zakonof, qui tient lieu de code et est seule d’usage habituel. Le Svod lui-même est loin de former un code régulier et symétrique à la façon de notre code Napoléon. Ce n’est qu’une compilation de lois d’époques diverses et d’inspiration différente, une juxtaposition d’édits et d’ordonnances, trop souvent sans cohérence ni harmonie. Quels qu’en soient les défauts, ce code provisoire a mis une certaine unité dans la législation russe ; si l’étude en reste encore pénible, elle est au moins possible. Le Svod comprend plus de 42,000 articles distribués en plus de 1, 500 chapitres; il forme quinze gros volumes où les lois sont classées par ordre de matière. Le tome Ier par exemple renferme les lois civiles, le tome XV les lois pénales. Aucun de ces volumes n’offrait rien de définitif; aussi, malgré leur origine relativement récente, quelques-uns ont-ils été déjà plusieurs fois remaniés ou remplacés par des recueils nouveaux. La Russie possède ainsi aujourd’hui un code pénal, un code de commerce, un code d’instruction criminelle, sortis des réformes judiciaires de l’empereur Alexandre II[1].

Un empire autocratique a beau être en possession d’une sorte de code, peut-il avoir des lois fixes et dignes de ce nom ? La question peut paraître douteuse. Dans un état où le monarque est la loi vivante, la législation semble un livre toujours ouvert où le souverain, n’étant pas lié par ses décisions de la veille, peut inscrire ou effacer telle page à son gré. L’idée de fixité, de permanence, paraît difficilement conciliable avec ce pouvoir de tout altérer, de tout imposer, de tout régler par oukase. On a dit parfois qu’en reconnaissant au souverain le droit de les modifier à son gré, le premier article du code russe abrogeait tous les autres. Là où l’autorité suprême est légalement maîtresse de dépasser les limites de la loi, on peut soutenir qu’il ne saurait y avoir de lois. Pour la Russie, ce serait cependant aujourd’hui une singulière exagération. Il n’y a pas toujours dans les institutions humaines une telle logique qu’il faille pousser jusqu’aux dernières conséquences les principes les mieux établis d’un gouvernement. En Russie, le souverain est placé au-dessus de la loi, ou mieux il est la source de la loi, qui découle tout entière de sa volonté; mais dans la pratique la loi ne peut être modifiée sans certaines formalités, sans

  1. Nous ne voulons point parler ici du droit civil russe, nous en avons donné quelques traits essentiels en étudiant les classes sociales (voyez la Revue du 15 mai 1866). Nous sommes heureux de pouvoir à cet égard renvoyer le lecteur français au récent ouvrage d’un de nos anciens compatriotes d’Alsace, aujourd’hui professeur à Lausanne : le Droit civil russe, par M. E. Lehr. Plon, 1878. — Certaines provinces frontières ont leurs lois ou coutumes particulières, la Pologne est encore en possession du code Napoléon, et les provinces baltiques de la vieille loi germanique; mais sous prétexte de régularité et d’unité, il est question d’abroger toutes ces différences au risque de soumettre les sujets de la Russie à des lois qui blesseraient inutilement leurs mœurs.