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que jamais. Il songeait sérieusement à retourner à Berlin, déjà il en avait demandé l’autorisation, lorsque le 15 juillet il reçut une dépêche datée du 9; elle était restée six jours en route! M. de Bismarck n’avait-il pas eu soin de prévenir M. Benedetti, dès leur première rencontre, que les fils télégraphiques étaient coupés sans cesse par des mains inconnues? On l’invitait à venir à Paris pour y faire connaître ses premières impressions. M. Drouyn de Lhuys comptait sans doute sur l’assistance de l’ambassadeur pour livrer un combat suprême à ses adversaires. Mais l’ambassadeur ne crut pas devoir répondre à cet appel : « il craignait d’arriver trop tard pour l’utilité des explications qu’il serait à même de donner. »

Le gouvernement de l’empereur se voyait débordé par les événemens, il ne pouvait se dissimuler qu’il n’en était plus le maître. Il commençait à sentir tout ce que le rôle de médiateur, si hâtivement, si glorieusement revendiqué, avait d’ingrat et de périlleux. Arracher des concessions à l’Autriche, modérer les exigences de la Prusse, reprocher à l’Italie son ingratitude et refréner ses prétentions, c’était une tâche peu enviable. N’eût-il pas mieux valu se borner au rôle plus effacé de simple intermédiaire, qui aurait permis à notre politique d’affirmer l’intérêt français avec une liberté d’appréciation absolue? Mais il aurait fallu, dès le lendemain de Sadowa, je l’ai déjà dit, ou se rallier à l’idée du congrès, ou concerter un plan, ne pas s’en départir, et s’en fier pour l’exécution à l’expérience et à l’énergie de notre diplomatie.

M. Drouyn de Lhuys sentait si bien qu’on s’était engagé, et pour le présent et pour l’avenir, dans une situation fausse et dangereuse, que dans une note destinée à l’empereur il cherchait à donner à notre intervention un caractère précis. Il estimait que la France ne devait pas s’interdire par une participation trop directe aux négociations la faculté de réagir contre les conséquences possibles du traité; selon lui, le rôle de notre représentant devait être celui d’un intermédiaire amical, se bornant à user de toute son influence pour amener les belligérans sur un terrain commun.

« Nous ne sommes ni des arbitres, disait-il, imposant aux deux parties des solutions, ni des négociateurs prenant une part directe aux arrangemens. Nous n’aurons donc pas à signer des préliminaires et notre ambassadeur devra éviter autant que possible, dans ses communications avec les négociateurs, l’usage des notes, des pièces écrites et des notifications officielles. »

On avait renoncé à faire venir M. Benedetti à Paris, mais par contre on lui donnait l’ordre de se rendre à Vienne pour s’assurer des dispositions du gouvernement autrichien et se concerter avec M. de Gramont, qui venait de recevoir le projet de préliminaires. M. Benedetti était parti pour Vienne le 16 juillet ; dès le 18 il rejoignait