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au quartier général. « Exposez au roi et au comte de Bismarck, lui télégraphiait M. Drouyn de Lhuys, que la cession de la Vénétie à l’empereur le place dans une position qui ne saurait se prolonger. Nous devons remettre la Vénétie à l’Italie, mais il faut pour cela que l’Italie accepte un armistice, et son acceptation est subordonnée au consentement de la Prusse. Un refus serait vivement ressenti et entraînerait les conséquences les plus graves. »

On commençait à s’apercevoir qu’on tournait dans un cercle vicieux ; le roi Victor-Emmanuel réclamait le quadrilatère à titre de gage et refusait de s’arrêter sans l’assentiment formel de son allié ; le roi Guillaume, de son côté, n’entendait consentir à un armistice et même à une courte suspension d’armes qu’à la condition qu’il se mettrait d’accord avec le cabinet de Florence et que l’Autriche accepterait les préliminaires de la paix. L’Italie espérait prendre une revanche de Custozza, et la Prusse voulait, comme l’écrivait le comte Usedom, « anéantir l’Autriche en la frappant au cœur. »

M. Benedetti quittait Berlin le soir même avec son premier secrétaire. Il était livré à ses propres inspirations et ne connaissait la pensée de son gouvernement que par les instructions très sommaires que j’ai indiquées. Il ne devait être instruit des bases posées à notre médiation que par le bon vouloir de M. de Bismarck.

Son voyage fut lent et difficile ; les routes étaient encombrées de convois de blessés et de prisonniers. Le 10 juillet, il couchait à Kœnigshof ; le 11, il traversait l’extrême droite du champ de bataille de Kœniggrætz. Il manqua le roi successivement à Pardubitz, où il passait l’Elbe, et à Hohenmauth, sur la route de Brünn, tant la marche de l’armée était rapide. Il ne l’atteignit que le 12 à Zwittau, à une heure avancée de la nuit. Il dut se faire indiquer par des factionnaires la demeure du premier ministre, qui s’était installé dans une habitation abandonnée par son propriétaire. M. Lefebvre de Béhaine, chargé de demander une entrevue, trouva M. de Bismarck devant son bureau, la plume à la main et deux revolvers à ses côtés. Comme d’habitude, et malgré les fatigues de la campagne, il consacrait la première partie de la nuit à sa correspondance.

L’arrivée de l’ambassadeur de France parut causer au ministre une véritable surprise ; à l’en croire, il ignorait absolument que M. Benedetti eût quitté Berlin. « Il est vrai, ajoutait-il, que le télégraphe est en désarroi, que les fils sont coupés sans cesse par des mains inconnues ! »

M. de Bismarck ne remit pas l’entretien au lendemain ; il reçut l’ambassadeur sur l’heure, et, plein de courtoisie, il lui offrit, à la guerre comme à la guerre, de partager son campement.

La rencontre de M. de Bismarck et de M. Benedetti en pleine