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vaut mieux, à compter pour le succès sur les moyens d’action que leur offraient les institutions parlementaires.

Privés des avantages que leur assuraient les anciennes lois religieuses, les protestans se croyaient déjà perdus. La moindre émeute eût vraiment fait leur affaire à cette époque ; ils en auraient conclu qu’en abattant le culte officiel on avait sapé la société par la base. Des exaltés vinrent juste à point donner un prétexte à leurs craintes, en réclamant avec bruit l’amnistie pour les prisonniers fenians. Comme le gouvernement eut le bon sens de s’y opposer, des meetings monstrueux menacèrent de troubler encore une fois la tranquillité du pays. Il n’y avait pas que des énergumènes pour effrayer ces conservateurs affolés. Les tendances de la population catholique ne leur paraissaient pas rassurantes. Il était de notoriété publique que les paysans avaient toujours voté au commandement de leurs curés. Abandonnés par le gouvernement anglais, les protestans se voyaient à la merci des ultramontains. Aussi quel ne fut pas l’étonnement général lorsque, dans les élections complémentaires de cette année 1869, on vit d’une part à Tipperary les paysans soutenir la candidature d’O’Donovan Rossa, l’un des aides de camp de Stephens ; de l’autre, à Longford, les modérés voter pour John Martin, à qui le clergé opposait un candidat protestant. Ces choix singuliers prouvaient tout au moins que l’influence ecclésiastique n’était plus obéie partout. La vérité est qu’un triage se faisait entre toutes les opinions, que les électeurs n’étaient plus d’humeur à recevoir un mot d’ordre ou du moins que l’unique sentiment par lequel ils comptaient se laisser conduire dorénavant était le patriotisme éclairé dont les hommes de la Jeune Irlande s’étaient fait autrefois les apôtres.

Le moment était venu de s’entendre sur un nouveau programme : ce fut l’œuvre d’une réunion d’hommes politiques tenue à Dublin au mois de mai 1870. Négocians, avocats et propriétaires ; ultramontains, quakers et orangistes ; fenians, whigs et tories, il y en avait de toutes les professions, de toutes les religions, de toutes les opinions dans cette assemblée. Les uns avaient réclamé toute leur vie le rappel de l’acte d’union ; d’autres avaient toujours au contraire demandé l’alliance la plus intime avec l’Angleterre. Les uns s’intitulaient catholiques libéraux, d’autres presbytériens nationaux, d’autres encore protestans conservateurs. Tous néanmoins s’accordaient maintenant sur ce point, que le salut de l’Irlande devait être cherché désormais dans une union intime entre tous ses enfans. Les protestans conservateurs, que l’on devait surtout s’étonner de voir en pareil lieu, ouvrirent le débat par une profession de foi très franche. « Nous ne voulons, dirent-ils, ni conspirer contre l’Angleterre