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côtés. Les délégués américains qui avaient accompagné le cercueil retournèrent dans leur pays convaincus que la fraternité républicaine avait pour elle le nombre et la force, qu’il lui manquait seulement des armes et de l’argent. Il y avait bon espoir de réussir pourvu qu’on lui fournît ce que le pays natal ne pouvait donner. Alors partout s’ouvrirent des listes de souscription où les moins riches s’inscrivaient avec empressement. Ouvriers, mineurs de la Californie, simples servantes, quiconque aux États-Unis avait du sang celtique dans les veines crut accomplir un devoir patriotique en apportant son obole pour le succès de la cause commune.


II.

À peu près chez tous les peuples, le législateur s’est cru obligé, par mesure de salut social, de mettre obstacle au développement des sociétés occultes dès qu’elles deviennent menaçantes. C’est peut-être inutile, car l’expérience prouve que la discorde ne tarde pas à s’y introduire. Au point où en est arrivé ce récit, le fenianisme semble triomphant, uni, inspiré par un même esprit sur les deux bords de l’Atlantique. La vérité est que les deux chefs d’Irlande et des États-Unis ne s’entendaient déjà plus, mieux encore qu’ils ne s’étaient jamais entendus. Les personnages un peu notables dont on avait l’adhésion considéraient O’Mahony comme la tête et le cœur de l’association ; sa naissance, son respect pour le clergé catholique, son alliance avec les patriotes malheureux de 1848, rassuraient les patriotes prudens et modérés. Sous la conduite de ce gentleman, ils avaient cru n’entrer que dans une ligue légale et constitutionnelle. Stephens au contraire était à leurs yeux un plébéien, un athée, un socialiste ; il méritait sans contredit toutes ces qualifications, mais il était le plus adroit et, certain désormais de ne pas manquer de disciples ni d’argent, il ne songeait plus qu’à mettre O’Mahony de côté. Cela lui était d’autant plus facile que celui-ci, sans compter son insouciance, avait le tort d’être trop hautain dans les relations d’homme à homme.

La branche américaine du fenianisme s’était modelée sur les mœurs du pays. Tandis qu’en Irlande tout émanait du pouvoir central, aux États-Unis l’organisation était démocratique ; chaque cercle choisissait ses chefs, chaque brigade ses officiers. L’influence d’un comité directeur était presque nulle. Il y avait dans le nombre des hommes d’action auxquels O’Mahony paraissait trop timoré. Ces dissidens étaient les plus dévoués amis de Stephens, qui leur insinua l’idée de se réunir en congrès. La réunion, que O’Mahony fut contraint de convoquer lui-même, se tint à Chicago au mois de