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allait échouer devant le nouveau parlement comme elle a échoué une première fois devant le parlement ancien ? On ne parle de rien moins déjà que d’une nouvelle dissolution. Que cette menace soit sérieuse ou qu’elle ne soit qu’un moyen détourné pour vaincre quelques résistances, pour faire réfléchir les récalcitrans de la commission, peu importe : le point grave c’est que l’enfantement de la loi est laborieux, c’est que dans le parlement renouvelé comme dans le parlement dissous il n’est pas facile de trouver une majorité ; mais M. de Bismarck est évidemment décidé à avoir sa loi, il fera tout pour l’obtenir, il n’hésitera pas devant la brèche. Déjà il est intervenu avec éclat dans la première lecture, et la discussion a été certainement curieuse, non-seulement par les révélations ou les prétendues révélations d’un député socialiste, M. Bebel, sur les relations des chefs du socialisme avec le gouvernement, mais encore et surtout par le discours du chancelier lui-même. M. de Bismarck est un orateur original qui prend ses libertés ; il a parlé, selon son usage, avec une parfaite désinvolture, démentant d’une façon assez pittoresque les récits de M. Bebel, racontant à sa manière, d’un ton dégagé et humoristique, ses rapports avec le chef socialiste Lassalle, sabrant un peu tout le monde de sa verve sur son chemin, et en définitive laissant suffisamment pressentir le prix qu’il attache à obtenir sa loi contre les socialistes. M. de Bismarck, après s’être engagé, ne désertera sûrement pas le combat. Le succès dépend de ce qu’il fera pour rallier les nationaux-libéraux à sa cause, ou pour gagner les voix du centre catholique, — de sorte qu’au fond, dans cette question, il s’agit réellement de la direction nouvelle de la politique intérieure de l’Allemagne. M. de Bismarck est aujourd’hui tout entier à ce combat parlementaire, et cependant, s’il regardait hors de l’Allemagne, s’il voulait s’intéresser aux suites de ce traité qu’il a si lestement expédié à Berlin il y a trois mois, le travail de ce côté ne lui manquerait pas.

Rien n’est plus étrange en effet que tous ces incidens qui se succèdent depuis quelques semaines, qui viennent incessamment compliquer l’exécution du traité de Berlin, et qui, au lieu de la paix promise, semblent ouvrir une ère de conflits indéfinis. L’occupation de la Bosnie et de l’Herzégovine, qu’on croyait d’abord si facile, est devenue une lourde et épineuse difficulté pour l’Autriche. Ce n’est plus une marche militaire plus ou moins laborieuse, c’est une véritable campagne que l’armée autrichienne est réduite à poursuivre à travers des combats de tous les jours, au prix de beaucoup de sang, et la popularité du comte Andrassy ne laisse pas de souffrir de toutes ces complications dont on ne voit pas la fin. Sera-ce un avantage, sera-ce un fardeau pour l’Autriche ? C’est encore une grave question. Il est douteux maintenant que la campagne présente suffise pour assurer la pacification ou, pour mieux dire, la conquête de ces provinces ; on n’est pas au bout