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il est d’autant plus significatif qu’au moment même où M. de Freycinet parlait ainsi à Nantes et à Bordeaux, M. Gambetta prononçait son discours tribunitien à Romans. L’orateur de la gauche, allant faire son discours-programme dans la Drôme, a laissé le beau rôle au ministre parlant des affaires publiques avec une autorité persuasive.

Le télégraphe, qui se mêle de tout aujourd’hui et qui est le complaisant messager de tout ce qu’on lui confie, mensonge ou vérité, le télégraphe a de singulières interventions dans les affaires des orateurs en voyage. Par une première version, il avait attribué à M. Gambetta ces mots : « Je n’ai jamais voulu élargir le fossé qui sépare le parti républicain du reste de la France. » L’aveu était peut-être un peu étrange, la rectification n’a pas tardé à venir, et, d’après la nouvelle version, M. Gambetta aurait dit qu’il n’avait « jamais voulu élargir le fossé qu’on a essayé de creuser entre les diverses nuances du parti républicain, » que tous ses efforts avaient toujours tendu à l’union et à la conciliation. Le télégraphe a vraiment parfois de l’esprit sans le savoir, par distraction, et le voilà, par une simple méprise, servant à éclairer une situation. Oui, en effet, toute la question est là, dans ces deux versions du télégraphe qui résument deux politiques et caractérisent deux tendances. Il y a une politique qui consiste à aller sans cesse vers la France, à supprimer les « séparations, » à vaincre les résistances, les dissidences par la modération, à populariser les institutions nouvelles par une large conciliation, à identifier la république avec le pays, à faire en un mot la république française et nationale. C’est cette république que M. de Freycinet représente, qu’il préconise dans ses voyages, au risque de passer pour naïf, pour un homme plein d’illusions. Il y a une autre politique qui consiste à faire de la république le règne et la domination d’un parti, qui procède par des exclusions et des épurations, qui prétend, elle aussi, faire de la conciliation, mais de la conciliation entre « les nuances diverses du parti républicain. » C’est la politique du second télégramme de Valence ! M. Gambetta tient à rester de son parti, à ne pas se séparer de M. Madier de Montjau et de M. Naquet. Il a beau être sensé, clairvoyant à ses bonnes heures, il se condamne à de cruels sacrifices pour représenter tant bien que mal une république dont les radicaux puissent se contenter, — et encore M. Louis Blanc, qui n’a pas la sensibilité de M. Madier de Montjau, n’est-il nullement satisfait.

Eh bien ! entre ces deux politiques en présence, qu’on se demande en toute sincérité quelle est celle qui sert le mieux la république, qui aide de la manière la plus efficace à l’établissement, à l’affermissement des institutions nouvelles en France. M. de Freycinet, en reprenant à son tour le mot d’ordre de M. Thiers disant que l’avenir restera aux plus sages, M. de Freycinet, en s’inspirant de cette prévoyante pa-