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à Douai, à Lille. Aujourd’hui il achève une excursion nouvelle qui l’a conduit à Nantes, à la Rochelle, à Bordeaux, à Bayonne, et partout il a rencontré le même succès en reproduisant sous des formes différentes la même pensée élevée et séduisante. Est-ce que M. de Freycinet, ministre de la république, résolu à soutenir et à faire vivre la république, s’est cru obligé de voir partout des ennemis, de représenter le régime nouveau comme animé d’un esprit d’exclusion, de défi et de représailles ? Est-ce qu’il a jugé nécessaire de demander à tous ceux qu’il a rencontrés sur son chemin la couleur de leurs opinions, la nature de leurs antécédens ou la date de leur orthodoxie républicaine ? Nullement : il s’est au contraire félicité à Nantes de voir « des hommes d’opinions différentes se grouper et se mettre la main dans la main, lorsqu’il s’agit de discuter les questions d’intérêt général, oublier leurs dissidences pour se placer uniquement sur le terrain de l’intérêt national. » Il s’est plu à voir dans l’étude en commun de tout ce qui intéresse le pays le commencement, le gage d’une certaine union dans l’ordre politique, et, avec l’autorité d’un homme qui ne pouvait être suspect, il n’a pas craint de se déclarer le partisan déterminé de la conciliation, de la conseiller surtout au parti républicain. « Je la conseille aux républicains, a-t-il dit, parce qu’ils sont aujourd’hui les plus forts, parce qu’ils sont au pouvoir. Or, quand on est la majorité, on peut et on doit faire des choses qui ne sont pas permises quand on est la minorité. Je dis donc aux républicains : C’est à vous aujourd’hui de faire les avances ; c’est à vous de ménager, de respecter les susceptibilités des autres partis. Si quelqu’un vous dit, comme je l’ai entendu dire quelquefois, que c’est de la faiblesse, répondez : C’est de la faiblesse quand on est le plus faible ; quand on est le plus fort, c’est de la bonne politique… » Et ce que M. le ministre des travaux publics a dit à Nantes, il l’a répété avec sa netteté et sa séduction de parole à Bordeaux. M. de Freycinet ne s’est pas fait illusion sans doute, il ne s’est pas flatté de conquérir tout le monde, il sait bien qu’il y aura toujours des irréconciliables de toutes les couleurs. Il compte sur la masse qui agit et qui travaille, qui a besoin avant tout d’avoir un gouvernement, sur tous ceux qui, bien que vaincus, sont assez éclairés pour trouver plus profitable de servir le pays que de lui garder rancune. Pour rallier tous ceux-là, que faut-il ? Il faut « s’efforcer de ne pas froisser les intérêts, de ne pas blesser les personnes, de se montrer tolérant et conciliant… »

Ainsi s’exprime à tout propos, au midi comme au nord, ce ministre en voyage, qui met visiblement trop de suite et de fermeté dans ce qu’il dit pour que ces déclarations, qu’il se plaît à renouveler, n’aient pas toute la valeur d’une politique réfléchie. C’est là certes un langage fait pour honorer un homme aussi bien que pour accréditer un régime, et