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résolvent le problème de mettre la république hors de contestation sans affaiblir les garanties de modération qui seules peuvent aider les institutions nouvelles à vivre d’une vie régulière. M. Gambetta comprend assurément, comme bien d’autres et même plus que bien d’autres, les nécessités de la situation de la France ; il a prouvé plus d’une fois qu’il savait se conduire en tacticien avisé. Il resterait à savoir jusqu’à quel point il a servi dernièrement la seule politique possible aujourd’hui en faisant, lui aussi, son voyage d’apparat, en allant prononcer à Romans, dans la Drôme, un de ces discours qui ressemblent à un programme. Si M. Gambetta a tenu une fois de plus à essayer la puissance de sa parole et à savourer la popularité, il a réussi. Il a été, à ce qu’il paraît, reçu dans la Drôme comme l’empereur l’a été avant lui. Les conseils municipaux n’ont pas manqué d’accourir sur son passage. On ne lui a ménagé ni les arcs de triomphe, ni les musiques, ni les fleurs. Il a été accompagné d’ovations bruyantes au milieu de ces populations méridionales, toujours promptes à l’enthousiasme, et il a fallu un instant qu’il suppliât tous les amis inconnus qui l’entouraient de réserver leurs acclamations pour la république. Le fait est, pour sortir des puérilités, que M. Gambetta s’est évidemment créé une situation assez exceptionnelle et assez bizarre. Il a ce que les Italiens appellent la prepotenza. Par sa popularité, par ses dons d’orateur, il s’est placé au premier rang, il est le chef le plus accrédité, le plus apparent de la majorité de la chambre, et il est cependant douteux, d’un autre côté, qu’il puisse de sitôt exercer utilement le pouvoir. De là cette position étrange d’un homme qui est une sorte de puissance irrégulière, qui peut embarrasser un gouvernement de son hostilité ou de sa protection, sans être en mesure de le remplacer, — dont toutes les paroles prennent aussitôt une importance particulière. M. Gambetta subit les inconvéniens de son rôle : il ne peut aller à Romans sans qu’on lui prépare des ovations ridicules qui risqueraient de faire de lui un personnage excentrique, et il ne peut parler sans qu’on cherche dans ce qu’il dit un programme solennel ou une remontrance menaçante.

À dire vrai, le discours de Romans n’est ni une remontrance ni un programme. C’est un exposé vigoureusement tracé d’une multitude de questions qui sont effleurées encore plus que sérieusement discutées et qui dans tous les cas restent soumises à une plus ample instruction. M. Gambetta a saisi l’occasion de toucher un peu à toute chose, à la constitution, au ministère, à la magistrature, à l’armée, à l’administration, aux finances, aux affaires de religion, aux rapports de l’église et de l’état. Sur tous ces points l’orateur de la gauche a voulu exprimer son opinion, donner du moins des indications, ou, comme il l’a dit, tracer un aperçu de ce qu’on pourrait faire après le renouvellement du sénat, à l’échéance des pouvoirs de M. le maréchal de Mac-Mahon, pendant la prochaine pé-