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doctrines dangereuses et homicides; mais en appeler à la fois aux lois d’exception et à l’opinion publique, c’est peut-être une chimère. — « Un de mes amis, disait M. Hänel dans la séance du 17 septembre, m’a confessé que, quand la loi serait votée, il n’oserait plus s’attaquer au socialisme. Le moyen d’argumenter contre un ennemi bâillonné, qui ne peut plus vous répondre? » Recourir aux lois d’exception, c’est avouer que la discussion est impuissante, et armer de pleins pouvoirs la police, c’est engager la nation à s’en remettre aux agens de la sûreté publique du soin de la défendre.

Nous doutons que l’Allemagne réponde avec empressement à l’appel qu’on lui adresse. Elle a été révoltée par les attentats de Hœdel et de Nobiling; mais cinq cents procès de lèse-majesté, intentés souvent à la légère sur la foi de dénonciateurs suspects, ont refroidi son indignation. Elle se demande d’ailleurs si les progrès du socialisme ne sont pas imputables en partie aux erreurs, aux maladresses administratives de ceux qui la gouvernent, et si M. de Bismarck n’est pas un génie compliqué, mais incomplet. Au surplus elle s’étonne que son gouvernement réclame son secours et sa protection; elle le croit capable de se protéger lui-même, elle a toujours cru à sa force. N’a-t-il pas cette autorité que donnent les longs succès? N’a-t-il pas fait un pacte avec la fortune? Elle ne peut admettre que MM. Bebel et Liebknecht fassent trembler M. de Bismarck, elle craint que le socialisme ne soit qu’un prétexte, que le chancelier de l’empire n’ait des vues secrètes, qu’il ne mette en avant la loi d’exception à la seule fin de former une majorité qui votera ses lois financières. S’il en faut croire Paul-Louis Courier, on demandait un jour à certain grand-vicaire quel était son sentiment sur le dogme, sur la lumière du Thabor, sur l’immaculée conception, sur la consubstantialité du père et du fils, et ce qu’il pensait de la suspension du sacrement dans les espèces. — « Je pense, répondit-il en colère, je pense à ravoir mon prieuré, et je crois que je le raurai. » A tort ou à raison, beaucoup d’Allemands s’imaginent que M. de Bismarck s’inquiète peu du dogme communiste, que l’abolition du salariat, l’émancipation du travail, la suppression du monopole des capitalistes, le laissent fort tranquille, et qu’il ne s’occupe que de son prieuré, c’est-à-dire de l’empire germanique qu’il entend organiser à sa tête, à sa guise, selon sa fantaisie, selon son idée, qui n’est pas toujours l’idée de la nation.


G. VALBERT.