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en silence ; on y embrasse tout ce qui doit éclairer l’homme et tout ce qui peut le conserver ou le servir. Là tous les appareils, tous les instrumens, toutes les machines, par lesquels nous avons su ajouter à nos sens ou à notre intelligence, se réunissent pour l’instruction du philosophe, comme pour celle de l’artiste. L’amour de la vérité y rassemble les hommes que le sacrifice des passions communes a rendus dignes d’elle, et les nations éclairées, connaissant tout ce qu’elle peut pour le bonheur de l’espèce humaine, y prodiguent au génie les moyens de déployer ses forces. » Condorcet termine en disant que c’est là un rêve que les progrès rapides des sociétés et des lumières donnent aujourd’hui l’espoir de voir réaliser par les générations prochaines et peut-être commencer par nous-mêmes !

Telles ont été, depuis Bacon, et en partie sous l’influence de la Nouvelle Atlantide, les principales vues ou, si l’on veut, les utopies académiques des plus grands esprits ou de penseurs hardis et ingénieux du XVIIe et du XVIIIe siècle. Sans doute, comme nous l’avons déjà dit, par la formation même de grandes académies dans toutes les capitales des pays les plus civilisés de l’Europe et de l’Amérique, une partie de leurs vœux a été réalisée ; mais, quant aux moyens d’action dont elles devraient être pourvues pour étendre plus au loin les conquêtes de la science, quant à ces ressources pour les expériences dont Bacon veut que l’Institut de Salomon soit si largement doté, quant à ce théâtre de l’art et de la nature, à cet abrégé de la nature qu’elles devraient avoir sous les yeux et sous les mains, d’après Leibniz, combien les mieux partagées ne sont-elles pas dépourvues et combien sont loin encore d’être réalisées les espérances et les prophéties de Condorcet !

Nous n’avons pas la prétention de marquer exactement ce qu’il faut prendre ou laisser dans l’Institut de Salomon ou même dans le théâtre de l’art et de la nature de Leibniz, ni de déterminer jusqu’où devrait s’étendre le budget d’une grande académie, pour les expériences, pour les recherches de tout genre, pour les missions scientifiques qui devraient être exclusivement de son domaine, pour les publications, quoiqu’il semble que l’excès, s’il y en a, soit ici plutôt à désirer qu’à craindre. Mais tout le monde sans doute sera tristement surpris d’apprendre qu’au budget de notre Académie des sciences ne figure qu’une somme de 8,500 francs « pour achat d’instrumens, de machines, pour expériences et pour frais d’impressions. » Non-seulement elle ne peut pas faire de grandes et coûteuses expériences, auxquelles seraient conviés les savans des pays étrangers, mais elle ne peut disposer de quelques centaines de francs pour faire ou pour reproduire et contrôler les expériences les plus utiles, les plus intéressantes au point de vue de l’industrie