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de ses expressions, les curiosa, bien avant il place les utilia[1]. Il fait même à l’Académie des sciences de Paris le reproche, fort contestable, à ce qu’il nous semble, d’avoir trop sacrifié aux curiosa. Il est vrai qu’il entend cette utilité pratique de la façon la plus large et qu’il y fait rentrer non-seulement tout ce qui intéresse un pays et un peuple, la santé publique, l’agriculture, le commerce, l’industrie, les subsistances, mais les écoles et l’enseignement moral qui tourne, dit-il, les âmes à la piété et à Dieu par la contemplation des œuvres de la nature. Dans le projet pour l’établissement de l’académie de Dresde, il place parmi ses attributions de veiller sur l’eau et le feu, c’est-à-dire de rechercher tous les moyens de prévenir et de combattre les causes d’incendie et d’inondation.

Aussi, pas plus que Bacon, il ne comprend que les académies puissent atteindre leur but si elles ne sont simplement fournies, outillées pour ainsi dire, de tout ce qui est nécessaire pour faire ces découvertes, ces inventions d’utilité publique, qui doivent d’ailleurs si bien justifier les dépenses dont elles sont l’objet, en même temps que les accréditer dans l’esprit des peuples. Dans une lettre au prince Eugène, il se plaint de l’insuffisante organisation de l’académie de Berlin, que les temps difficiles ont rendue trop bornée. A Dresde, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, comme à Berlin, il ne cessera de réclamer pour elles « un théâtre de la nature et de l’art » aussi étendu, aussi riche qu’il sera possible. Qu’entend-il par ce théâtre de l’art et de la nature? Voici la définition qu’il donne lui-même dans un mémoire adressé à Pierre le Grand sur les progrès des sciences et des arts dans l’empire russe : «Au théâtre de la nature appartiennent des grottes entières où toute sorte de minéraux et de rocailles méritent d’être vues, des jardins qui renfermeraient toutes espèces d’arbres, d’arbustes, de racines, de légumes, de fleurs et de fruits, et enfin des ménageries remplies de quadrupèdes vivans et d’oiseaux, des viviers pleins de poissons avec un théâtre anatomique où on verrait les squelettes d’animaux. Le théâtre de l’art comprend tout ce qu’exige un observatoire, un laboratoire, un conservatoire et magasin d’expériences où doivent se trouver des modèles d’une grandeur raisonnable, de dimensions de tout genre, principalement de toute espèce de moulins, de crics, de machines hydrauliques, comme de différentes machines en usage dans les mines. » Ici Leibniz, à la suite de Bacon, ne nous conduit-il pas comme par la main dans les chambres, dans les parcs et toutes les dépendances de l’Institut de Salomon ?

Les circonstances n’étaient pas alors favorables à la fondation et

  1. Voir le 7e volume de l’édition des Œuvres de Leibniz par Foucher de Careil. Ce volume est tout entier consacré à l’œuvre académique de Leibniz.