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armistice et qu’elle occupât sans retard Venise, ne fût-ce qu’avec quelques bataillons, de manière à constituer une barrière contre tout retour hostile de la part de l’Italie. Ses derrières assurés, l’Autriche aurait pu disposer d’une armée de 130,000 hommes, qu’elle eût jetés en Bohême, et la face des événemens pouvait changer aisément si une armée française devait se porter sur le Rhin.

L’empereur se hâta de faire part au roi Victor-Emmanuel des communications autrichiennes. Il écrivit en-même temps au roi de Prusse[1] pour lui annoncer qu’il acceptait le rôle de médiateur dont l’empereur François-Joseph l’invitait à se charger. Ces deux lettres différaient quant au fond sur un point essentiel : l’une rappelait le manifeste du 11 juin, tandis que la seconde n’en faisait pas mention. La Prusse avait remporté de telles victoires, elle avait fait de telles conquêtes, et ses armées étaient si menaçantes, qu’il était difficile d’invoquer ce document sans être prêt à le défendre l’épée à la main.

Que se passa-t-il au sein du conseil ? On a parlé de scènes violentes. On a prétendu que le maréchal Randon, forcé de s’expliquer, avait reconnu qu’en réalité il ne pouvait disposer immédiatement que d’une quarantaine de mille hommes, y compris le camp de Châlons, sans être sûr de pouvoir les munitionner au-delà des frontières. Est-il vrai que ces aveux imprévus soulevèrent les réclamations indignées de quelques-uns des ministres et que le maréchal, se retournant vers l’empereur, invoqua le Mexique pour justifier le fâcheux état de nos arsenaux et l’impuissance de nos effectifs ?

Deux versions se trouvent en présence, et jusqu’à présent il est difficile de se prononcer entre des affirmations contradictoires. Ce qu’il est permis d’en conclure, c’est qu’il existait au sein du cabinet un profond désaccord, et que l’empereur, surpris par une crise redoutable qui aurait exigé une communauté de sentimens absolue, se trouva soumis aux influences les plus opposées, les unes l’entraînant

  1. « Au roi de Prusse, à son quartier général. — Paris, 4 juillet 1866. — Sire, les succès si prompts et si éclatans de Votre Majesté ont amené des résultats qui me forcent à sortir de mon rôle de complète abstention. L’empereur d’Autriche m’annonce qu’il me cède la Vénétie et qu’il est prêt à accepter ma médiation pour mettre un terme au conflit qui s’est élevé entre l’Autriche, la Prusse et l’Italie. Je connais trop les sentimens magnanimes de Votre Majesté comme son affectueuse confiance envers moi pour ne pas croire que de son côté, après avoir élevé si haut l’honneur de ses armes, elle n’accueille avec satisfaction les efforts que je suis disposé à faire pour l’aider à rendre à ses états et à l’Europe le précieux avantage de la paix.
    « Si Votre Majesté agrée ma proposition, elle jugera sans doute convenable qu’un armistice conclu pour l’Allemagne et pour l’Italie ouvre immédiatement la voie à des négociations.
    « de Votre Majesté, le bon frère, NAPOLEON. »