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dans l’un des plus beaux passages de ses Confessions. Ramené, après des luttes terribles, à la foi de sa mère et de sa jeunesse, il venait de recevoir le baptême des mains de saint Ambroise. Comme il était résolu à rompre entièrement avec le monde et qu’il voulait quitter pour toujours cette chaire de rhétorique dont il était d’abord si fier, il avait annoncé aux Milanais « de chercher pour leurs enfans un autre vendeur de paroles. « Il s’en retournait en Afrique, avec sa mère, et il attendait à Ostie que le temps fût favorable pour la traversée. Il est probable qu’Augustin, qui était pauvre, s’était logé dans quelque médiocre hôtellerie, au milieu de la vieille ville. Il ne dit pas que de la maison qu’il habitait il eût la vue de la mer. Peut-être les riches étaient-ils les seuls qui pouvaient faire bâtir leur demeure dans les sites favorisés qui longent le rivage. Il nous parle seulement d’une fenêtre qui donnait sur un jardin paisible. C’est là qu’eut lieu cette scène mémorable, immortalisée par un grand peintre, et que n’oublieront jamais tous ceux qui ne peuvent se figurer, quoiqu’on leur dise, que ces préoccupations inquiètes de l’avenir ne soient que des curiosités inutiles. Placés près de cette fenêtre et le regard tourné vers le ciel, la mère et le fils, qui semblaient pressentir que leur séparation était prochaine, s’entretenaient ensemble de ces espérances de l’autre vie qui passionnaient alors tout le monde. Ils conversaient, dit saint Augustin, avec une ineffable douceur, oublieux du passé, penchés sur l’avenir et tendant les lèvres vers cette source immortelle où se rafraîchit l’âme fatiguée. Comme ils se séparaient par degrés des choses du corps, et qu’ils élevaient de plus en plus leurs pensées vers cette vie qui ne finit pas, à laquelle ils aspiraient sans la connaître ni la comprendre, « ils y touchèrent un moment par un bond du cœur. » Quelques jours après cet entretien, Monique mourut, et en mourait elle donna la dernière et la plus forte preuve du changement qu’avait accompli en elle l’ardeur de ses croyances. Son fils nous dit que, comme toutes les personnes de son temps et de son pays, elle avait été jusque-là très préoccupée de sa sépulture. Elle s’était préparé une tombe près de celle de son mari, et sa plus grande consolation était de penser que la mort la réunirait à celui dont elle avait été l’inséparable compagne pendant la vie. Elle y renonça pourtant d’elle-même quand elle se sentit mourir. « Vous ensevelirez votre mère ici, » dit-elle à ses enfans, et comme on lui demandait si elle ne redoutait pas de laisser son corps si loin de son pays, elle répondit : « Rien n’est loin de Dieu, et il n’est pas à craindre qu’à la fin des siècles il ne reconnaisse pas la place où il doit me ressusciter. » Augustin fit ce que sa mère demandait et il ensevelit la sainte femme dans une des églises d’Ostie.

Il faut aujourd’hui un violent effort d’imagination pour réveiller