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si puissante, félicitaient Romulus de n’avoir pas placé sa ville sur les bords de la mer. Cicéron, après les philosophes grecs, énumère tous les dangers auxquels les villes maritimes sont exposées. Il nous dit que chez elles rien n’annonce les surprises de l’ennemi, qui peut aborder sur le rivage, et pénétrer dans leurs murs sans que personne ait soupçonné son approche, il ajoute qu’elles sont plus accessibles aux influences du dehors et sans défense contre la corruption des mœurs étrangères. « Les peuples qui les habitent ne s’attachent pas à leurs foyers; une continuelle mobilité de désirs et d’espérances les emporte loin de la patrie, et lors même qu’ils ne changent pas réellement de place, leur esprit toujours aventureux voyage et court le monde. » C’est ce qui a perdu Corinthe et les belles îles de la Grèce, « qui, au milieu de cette ceinture de flots, semblent nager encore avec les institutions et les mœurs de leurs mobiles cités. » Cicéron en conclut que Romulus a fait preuve d’une rare sagacité en s’établissant dans l’intérieur des terres et pourtant à proximité d’un fleuve qui pouvait lui apporter les marchandises des pays voisins. Il est très douteux que le fondateur de Rome ait fait tous les beaux raisonnemens qu’on lui prête; mais il est sûr que la nouvelle ville s’applaudit beaucoup de n’être pas trop éloignée de la mer, et qu’elle chercha très vite à se servir pour sa fortune de ce voisinage avantageux. Les citoyens qui l’habitaient étaient animés de passions qui semblent d’abord incompatibles. On ne les montre ordinairement que sous un de leurs aspects, le plus beau et le plus brillant; ils en ont deux tout à fait contraires. C’étaient des soldats, des conquérans, auxquels la tradition ne donne plus que des attitudes héroïques ; mais dans ces demi-dieux il y avait des négocians et des usuriers. Ils étaient avides autant que braves, ils aimaient la gloire, mais ils tenaient beaucoup aussi à l’argent. Ils savaient très bien calculer, et, sous des dehors dédaigneux, ils se gardaient bien de négliger les beaux profits qu’on tire du commerce. C’est pour les satisfaire qu’Ancus Martius fonda le port d’Ostie, à l’endroit où le Tibre se jette dans la mer.

Un roi de Rome, à cette époque, n’était pas assez riche pour entreprendre loin de chez lui des travaux coûteux. On lui attribue la fondation d’un arsenal (navale), mais il est probable qu’il ne construisit ni bassins, ni jetées; au moins n’en a-t-on trouvé aucune trace. L’embouchure même du fleuve formait le port, et l’on ne se donna pas grand’peine pour le rendre plus commode et plus sûr. Tel qu’il était, il servit pendant toute la république. Dans son enceinte étroite et peu profonde, il abritait non-seulement les navires de commerce, mais les vaisseaux de l’état : Tite-Live nous apprend que plusieurs escadres partirent d’Ostie, pendant les guerres puniques,