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ont eu sans doute beaucoup à souffrir des Goths, des Lombards ou des Francs, mais elles ont continué à vivre, et en vivant elles se sont renouvelées. Comme il fallait se loger, quand les maisons sont devenues trop vieilles on les a rebâties. Les anciennes ont fourni des matériaux pour les nouvelles, et il n’est rien resté des constructions antiques. C’est l’homme, bien plus que le temps, qui détruit les monumens du passé; Ostie, heureusement pour elle, n’a eu affaire qu’au temps. On l’a sans doute bien des fois pillée, mais d’ordinaire les pillards étaient pressés et n’avaient pas le temps de ravager en conscience. D’ailleurs ils ne tenaient pas à tout prendre. Ils entraient dans les maisons désertes et se chargeaient en toute hâte de ce qui leur semblait précieux et qui pouvait s’emporter aisément. Quelquefois ils violaient les sépultures quand ils espéraient y faire un riche butin. Sur la voie qui menait de Rome à Ostie, la large dalle qui recouvrait une des plus belles tombes a été brutalement soulevée par un levier et jetée au milieu de la route, où elle se trouve encore. Les temples surtout les attiraient. Dans celui de Cybèle, on voit le long des murs des revêtemens de marbre en éclats et des crampons de fer tordus. Au-dessous, des inscriptions nous apprennent que d’opulens dévots avaient consacré eu cet endroit des statues en argent qui représentaient des empereurs ou des dieux. Les inscriptions y sont encore, mais les statues ont disparu ; et ce fer tordu, ainsi que ce marbre brisé, nous indiquent avec quelle brusquerie et quelle violence l’opération s’est accomplie. Mais si l’on prenait les statues d’argent, on laissait celles de marbre, dont on ne soupçonnait pas la valeur et qui auraient été trop embarrassantes. On ne pouvait pas non plus emporter les maisons. Voilà comment, malgré tant de ravages, il subsiste encore tant de débris de la vieille Ostie. Quand il n’y resta rien de ce qui pouvait tenter les pillards, ils n’y revinrent plus et laissèrent la ville périr de vieillesse. Peu à peu les murailles se sont effondrées, les colonnes de brique et de pierre sont tombées l’une sur l’autre, s’écrasant mutuellement dans leur chute; puis, avec le temps, une couche de terre a tout recouvert et l’herbe a poussé sur les ruines. Mais au-dessous existent toujours les fondations solides des maisons et des monumens publics, les pavés de mosaïque ou de marbre, les colonnes étendues, les frises brisées, et sans doute aussi des pans de murailles qu’a protégés la chute même des édifices voisins. On pouvait donc fouiller sans crainte; on était sûr, je le répète, qu’en enlevant ces décombres on retrouverait les restes d’une grande ville.

Les amateurs du siècle dernier le savaient bien ; aussi avaient-ils sondé à peu près toute cette vaste plaine, et à chaque fois ils en tiraient