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Voilà une affirmation qui, au premier abord, peut causer quelque surprise. On comprend que l’éruption du Vésuve qui a saisi Pompéi en pleine vie et qui, en un jour, l’a toute enterrée sous la cendre nous l’ait conservée comme elle était ; mais Ostie n’a pas été victime, comme Pompéi, d’une catastrophe subite, elle a péri lentement et en détail ; comment se fait-il donc qu’on espère en retrouver d’importans débris? C’est qu’elle a cessé d’être habitée tout d’un coup. Sa prospérité tenait à la puissance de Rome, dont elle était le port ; elle déclina vite quand Rome n’attira plus à elle les voyageurs et les marchandises du monde entier. Les invasions des barbares lui portèrent le dernier coup. Elle était, depuis Genséric, la route naturelle de tous les hardis pirates que tentaient les richesses accumulées dans la campagne romaine[1]. C’est là qu’ils débarquaient pour être plus rapprochés de leur proie, pour tenter quelque coup de main avantageux avant qu’on eût le temps de se mettre en défense. Ces incursions répétées rendirent bientôt le séjour d’Ostie insupportable. La pauvre ville dut regretter alors amèrement ce voisinage de la mer, qui, après avoir fait si longtemps sa fortune, l’exposait à tant de désastres imprévus. Chaque ravage dont elle était victime diminuait sa population. On peut supposer qu’un jour les derniers habitans qui restaient, menacés d’une attaque plus furieuse que les autres, et pris de peur, se sont tout d’un coup enfuis ensemble loin des côtes. Ils cherchèrent sans doute quelque asile, soit dans les montagnes du Latium et de la Sabine, où ils pensaient bien que l’ennemi ne songerait pas à les suivre, soit derrière les murailles de Rome, que l’empereur Honorius venait justement de reconstruire. Une fois sortis, ils ne furent plus tentés de revenir. Les incursions des pillards étaient tous les jours plus fréquentes. On peut dire que depuis les dernières années de l’empire jusqu’à notre époque elles ne se sont jamais arrêtées, et que la sécurité n’a pas été un moment rendue à ce rivage malheureux. Les Sarrasins et les Barbaresques succédèrent aux Vandales, et leurs déprédations, qui ne cessaient pas, causèrent aux gens du pays une terreur dont le souvenir est resté vivant sur toute la côte maritime du Latium. On parlait encore, sous le pape Léon XII, peu de temps avant la prise d’Alger par les Français, de maisons qu’ils venaient de piller, de paysans qu’ils avaient enlevés pour en faire des esclaves. Voilà pourquoi Ostie, abandonnée un jour de ses habitans, ne s’est jamais plus repeuplée; et c’est là précisément ce qui en a conservé les débris. Les autres villes romaines

  1. Déjà, du temps de Cicéron, une flotte romaine commandée par un consul avait été surprise et détruite à Ostie, presque sous les yeux de Rome, dit Cicéron, à qui ce malheur semble une honte et une ignominie. Les pirates, écartés dans les beaux temps de l’empire, revinrent au IVe siècle.