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de découvrir non pas une bibliothèque véritable, mais ce qu’on pourrait appeler le portefeuille du banquier Jucundus.

C’était un assez grand coffre, placé dans une sorte de niche, au-dessus d’une porte, et qui contenait un grand nombre de ces tablettes (tabulœ) sur lesquelles les Romains inscrivaient les brouillons de leurs papiers d’affaires, leurs petits billets sans importance, le premier jet des ouvrages qu’ils composaient, enfin toutes leurs écritures courantes, réservant le parchemin et le papyrus pour ce qu’ils voulaient définitivement conserver. Ces tablettes consistaient ordinairement en deux ou trois minces planches de bois, réunies entre elles comme les couvertures d’un livre, et qui étaient enduites à l’intérieur d’une légère couche de cire ; on écrivait sur cette cire avec un poinçon de fer. C’est pourtant une matière si frêle, si délicate, si peu faite pour durer, qui a survécu à des accidens de toute sorte, auxquels le marbre et le fer ne purent pas résister! On se demande par quel miracle, au milieu d’une ville embrasée et engloutie, sous cette pluie de boue et de cendres brûlantes qui recouvraient toutes les maisons, ce bois et cette cire, n’ont pas été consumés; on est plus étonné encore qu’après cette terrible aventure ils aient pu traverser dix-huit siècles de ténèbres et d’humidité sans achever de périr. A la vérité, les tablettes de Pompéi ne nous sont parvenues qu’en fort mauvais état, ce qui ne surprendra personne. Elles ne formaient plus, quand on les trouva, qu’un assemblage de charbons calcinés, et à peine furent-elles-touchées des rayons de ce soleil que depuis dix-huit cents ans elles ne voyaient plus qu’on s’aperçut qu’elles se fendaient de tous les côtés, et tombaient en miettes au contact de l’air. On eut besoin de précautions infinies pour transporter ces débris précieux à Naples ; là, dans ces ateliers où l’on s’exerce avec une admirable patience à dérouler et à lire les papyrus d’Herculanum, on travailla à séparer les tablettes les unes des autres, à en réunir les morceaux épais, à les ouvrir, et, quand la chaleur de l’éruption n’avait pas fondu la cire, à déchiffrer les traces que le stylet de fer y avait laissées. En somme, le succès fut plus grand qu’on ne l’espérait, grâce à l’habile et savant directeur du musée de Naples, M. de Petra, qui surveilla le travail, et qui, quand il fut achevé, en fit connaître le premier les résultats au public[1] .

Ces résultats répondent-ils à la peine qu’ils ont coûté? — Il est à remarquer que les découvertes de ce genre ont été toujours suivies

  1. La mémoire de M. de Petra, intitulé : le Tavolette cerate di Pompei, a d’abord paru dans le recueil de l’académie des Lincei. Depuis cette époque, M. Mummsen a étudié les tablettes, surtout au point de vue juridique, dans un article important de l’Hermès, revue philologique de Berlin.